Article paru dans le journal Le Devoir du 21 décembre 2022
Jean-François Nadeau
Le gouvernement québécois doit agir pour que les assureurs soient sensibilisés à l’importance de la protection des maisons patrimoniales, affirme la MRC des Maskoutains. Les compagnies d’assurances se montrent de moins en moins enclines à assurer ces maisons d’importance collective, regrette André Charron, le directeur général de cette MRC. « On veut de plus en plus protéger le patrimoine dans les municipalités, mais l’attitude des assureurs risque de provoquer l’effet contraire ! Il faut régler ça. Ça presse. »
La MRC des Maskoutains, appuyée par 17 maires de la région, a écrit à cette fin à Mathieu Lacombe, le ministre de la Culture et des Communications, en encourageant toutes les municipalités et les MRC du Québec à faire de même. Plusieurs lui ont emboîté le pas, en constatant chez eux exactement les mêmes problèmes.
Des histoires d’assureurs qui se désistent devant des bâtiments anciens, le conseiller en aménagement et en patrimoine Robert Mayrand en a entendu plusieurs. « J’entends sans arrêt des aberrations ! Tenez : le cas d’une dame qui a une maison surmontée d’un toit de tôle canadienne centenaire. On lui dit qu’elle n’est pas assurable parce que son toit est trop vieux ! L’assureur ne se déplace même pas pour constater que ce genre de toit, comme plusieurs de cette époque, est en parfait état. Ce n’est pas la même chose qu’une maison neuve, avec du bardeau d’asphalte. Autrement dit, ce n’est pas fini juste parce que c’est vieux ! »
Selon la MRC, les assureurs sourcillent non seulement devant des « bâtiments ayant des statuts légaux de protection », mais aussi face à un ensemble indistinct de bâtiments dès lors qu’ils sont considérés, de près ou de loin, comme patrimoniaux. Leur interprétation du patrimoine, précise la MRC dans sa lettre adressée au ministre Lacombe, « élargit à l’excès cette qualification », ce qui démontre « une incompréhension profonde de cette dénomination, ainsi que des différents outils urbanistiques mis en place pour encadrer les interventions sur ces biens et ces milieux sensibles ».
« Plusieurs citoyens ont contacté la MRC pour signaler que leur assureur a récemment refusé d’assurer leur maison simplement parce qu’elle a plus de 100 ans. Pourtant, le patrimoine est en partie ce qui assure la valeur de nos espaces communs », soutient André Charron, le directeur général de la MRC des Maskoutains. « On ne veut plus avoir des catastrophes comme à Chambly ! Des Chambly numéro 2, ça ne nous intéresse pas », poursuit-il. En 2018, la maison d’un patriote de 1837-1838 a été détruite par la municipalité de Chambly, dans un effort orchestré par le maire de l’époque pour créer une diversion médiatique à la suite d’un reportage de l’émission Enquête, de Radio-Canada, qui le plaçait sur la sellette.
« Si ça continue comme ça, on va perdre nos valeurs patrimoniales. Ce serait une catastrophe. »
— Marie-Pier Hébert
« Si ça devient difficile d’assurer des biens qui font notre richesse à tous, ajoute M. Charron, les assureurs vont contribuer à faire perdre de la valeur à nos villes et nos villages. Leur attitude produit un effet pervers. Il faut s’en occuper. »
Toujours selon la MRC, les actions des assureurs nuisent aux nouveaux efforts d’identification et de protection du patrimoine québécois dans son ensemble, ce qui risque de provoquer un découragement de la part des propriétaires et pourrait conduire à une dépréciation du patrimoine québécois. Il est donc demandé au ministre responsable d’agir auprès des assureurs afin que des changements soient apportés. La MRC demande plus précisément à Québec « d’intervenir auprès du gouvernement du Canada et des autorités compétentes pour trouver rapidement des solutions afin de garantir, à coût raisonnable, l’assurabilité de tous les immeubles patrimoniaux, et cela, peu importe l’âge du bâtiment ».
Un mouvement municipal
« Plusieurs assureurs refusent ouvertement et systématiquement d’assurer de tels biens, et d’autres, de façon plus insidieuse, découragent simplement les propriétaires avec des primes irréalistes », constatent les élus de la MRC, tout en encourageant les différentes instances municipales québécoises à leur emboîter le pas et à exprimer leur désarroi auprès de Québec dans ce dossier.
« Les 17 maires de la MRC des Maskoutains sont tous d’accord pour mettre de la pression sur le gouvernement », indique André Charron. Leur appel a été communiqué aux autres instances et fait petit à petit boule de neige, précise-t-il. En ce moment, dit-il, les avancées en faveur du patrimoine provoquent un effet boomerang inattendu et tout à fait négatif par rapport aux objectifs de protection recherchés par les municipalités et par Québec.
Dans sa lettre adressée au ministre Lacombe, la MRC assure que la question de la préservation du patrimoine prend « maintenant des proportions insoupçonnées risquant de compromettre sérieusement les efforts du gouvernement et des municipalités et [d’]en annuler les bénéfices, à moins d’une action rapide de la part des instances gouvernementales ». Cette situation a été signalée plus d’une fois sur la place publique, mais c’est bien la première fois que les instances municipales se mobilisent sur cette question dans un élan commun.
La municipalité d’Ange-Gardien est l’une de celles qui ont appuyé d’une résolution officielle la démarche de la MRC des Maskoutains. Sa directrice générale, Brigitte Vachon, constate qu’elle n’a pas eu de cas portés à son attention dans son périmètre, mais elle est bien consciente qu’il s’agit d’un vrai problème. « Dans notre zone patrimoniale, je ne crois pas que des propriétaires aient eu des difficultés avec les assureurs. Pas à ma connaissance, en tout cas. Mais si ça devenait le cas, comme il semble que ce le soit à certains endroits, ce serait catastrophique. »
Pour éviter le pire
Selon Marie-Pier Hébert, la greffière de la MRC des Maskoutains, la démarche vise à faire en sorte que « le gouvernement intervienne auprès des compagnies d’assurances » dès que possible. Elle note, comme d’autres, que « ça coûte les yeux de la tête pour ceux qui veulent être assurés et que plusieurs finissent par ne pas l’être ». Et cela conduit à une perte de valeurs dans l’ensemble de la société. « Si ça continue comme ça, on va perdre nos valeurs patrimoniales. Ce serait une catastrophe. »
Toutes les municipalités et les MRC ont été invitées à faire de même. L’initiative vient d’être lancée. « Comme les MRC et les municipalités sont invitées à manifester directement leurs préoccupations au ministre de la Culture et des Communications, [Mathieu Lacombe], il est difficile de savoir exactement combien ont déjà répondu. Je sais que quelques MRC et plusieurs villes ont déjà réagi. »
Cela fait plusieurs années que les défenseurs du patrimoine québécois sont préoccupés par la façon dont les compagnies d’assurances frappent ces richesses collectives d’une part de risque trop élevée. L’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec a souvent déploré que la question des assurances constituait un problème pour ceux qui s’efforcent de préserver le patrimoine québécois. Le dossier semble régresser, à en croire les MRC.
Joint par Le Devoir, le cabinet du ministère de la Culture et des Communications se dit conscient du problème. « Au regard de ce qui se passe en ce moment, nous sommes en train de déterminer ce qui peut se faire et nous examinons différentes options », assure l’attachée de presse du ministre. Mathieu Lacombe se dit « préoccupé de la situation vécue par les municipalités », puisqu’« il y va de la préservation de notre patrimoine québécois et donc de notre identité ».
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