Conditions à la pérennité du patrimoine bâti traditionnel

7 juin 2019

CONDITIONS À LA PÉRENNITÉ DU PATRIMOINE BÂTI TRADITIONNEL
Yves Lacourcière, ingénieur civil.

Yves Lacourcière, ingénieur civilNotre patrimoine bâti traditionnel disparaît à une vitesse fulgurante. Sur la base d’une donnée publiée par LIEUX PATRIMONIAUX DU CANADA, Yves Lacourcière évalue que 34 % de notre patrimoine bâti traditionnel protégé érigé en quatre siècles, a été irrémédiablement détruit en moins de 50 ans. Les métiers traditionnels de la construction, seuls capables de le maintenir et le conserver, sont sur le point de s’éteindre. Rien n’est possible sans eux.

Il soutient que ces patrimoines matériels et immatériels survivrons à la condition que :

  • les métiers traditionnels de la construction soient transmis professionnellement ;
  • que la recherche d’authenticité guide les interventions pour son maintien et sa conservation ;
  • que le principe de précaution s’applique avant d’autoriser toute destruction de bâtis anciens.

Ces sujets sont plus largement traités dans le livre « Accusé de non-assistance à patrimoine en danger » disponible en format électronique seulement à www.yveslacourciere.com

La Lucarne publie un article sur le premier de ces trois éléments inhérents à la pérennité du bâti traditionnel, selon la thèse défendue par l’ingénieur ethnologue

LES ESSENTIELS MÉTIERS TRADITIONNELS DE LA CONSTRUCTION.

Il existe un lien symbiotique qui unit le bâti ancien et les métiers traditionnels de la construction (MTC), patrimoine matériel et immatériel que nous nommons patrimoines du bâti. Nous soutenons que ces métiers sont essentiels à la continuité du bâti traditionnel au même titre que celle du luthier l’est pour les instruments classiques de musique à cordes. Ces derniers subiront le même sort que notre patrimoine bâti traditionnel si l’État cessait d’autoriser leur formation professionnelle comme il l’a fait pour les MTC.

C’est malheureusement cette situation intolérable à laquelle sont confrontés les MTC au Québec. L’État ne leur donne pas libre accès aux chantiers et à cessé de leur dispenser une formation professionnelle structurée depuis un demi-siècle. Transmis de façon aléatoire au hasard des rencontres et des chantiers, les MTC se sont appauvris. D’environs 40 000 qu’ils étaient encore en 1945, puis 20 000 en 1970 et 4 000 en 1993, il n’en reste moins de 500 qui se voient obligés d’exercer leur métier d’artisan dans l’anonymat complet. On ne les trouve que par le bouche-à-oreille avec tous les risques que cette méthode aléatoire comporte, tant pour les bâtis eux-mêmes que pour la protection financièrement de leurs propriétaires.

Privés de toute relève depuis 50 ans, les métiers traditionnels de la construction sont sur le point de s’éteindre. Ils entraîneront inexorablement nos bâtis traditionnels dans leur déchéance car ces deux patrimoines sont indissociables tels les deux cotés d’une médaille : Ils ne peuvent exister l’un sans l’autre.

De la difficulté de démontrer l’évidence

Le ministère de la Culture et des Communications (MCC) du Québec refuse toujours de reconnaître la spécificité de ces métiers et leur rôle essentiel pour la pérennisation du patrimoine bâti traditionnel.

Cette institution devrait entendre la Commission de la construction du Québec (CCQ), l’expert sur le terrain qui détient le mandat exclusif de gérer et de former professionnellement la main-d’œuvre autorisée à intervenir en chantier. Voici comment elle interpelle le ministère de la Culture :

« Dans les cas de travaux de restauration et de réfection de bâtiments anciens ou patrimoniaux, il est difficile de trouver la main-d’œuvre qualifiée qui maîtrise les techniques anciennes du bâtiment et qui peut intervenir de manière adéquate sur ce type de chantier. Les techniques employées dans le cadre de ces travaux demandent des connaissances très précises et approfondies dans des domaines variés qui dépendent du type de réfection et de l’époque de la construction. » La CCQ, Fiche technique émise le 8 juin 2015.

Dans ce document, la CCQ décrit bien la spécificité et la complexité des MTC. Elle reconnaît leur rôle exclusif en matière d’intervention sur le bâti traditionnel. Pourquoi le MCC n’écoute-t-il pas la CCQ dans ce créneau qui est le sien? Comment le ministère croit-il pouvoir ignorer la CCQ et passer outre son mandat exclusif s’agissant d’intervention en chantiers de construction ?

Considérons sous différents angles le postulat exigeant la pérennisation des MTC comme condition à celle du bâti traditionnel.

  • Depuis 1922, l’État a démontré à plusieurs reprises sa volonté de sauvegarder notre patrimoine bâti afin de le transmettre aussi authentique que faire se peut aux générations qui nous suivent.
  • La CCQ reconnaît implicitement la spécificité des MTC, seuls capables d’intervenir de façon appropriée sur le bâti traditionnel.
  • La CCQ constate qu’elle trouve peu (lire « plus »?) de travailleurs des MTC parmi les quelque 100 000 travailleurs qu’elle a formés aux métiers industriels construction.
  • La CCQ envisage de mettre en place des formations professionnelles appropriées à l’intention des MTC les plus en demande sur les chantiers… à la condition qu’on (le MCC, qui d’autre?) lui définisse un marché suffisant pour pérenniser les nouvelles formations. Ce marché existe déjà mais le ministère l’a insuffisamment identifié de même que la qualité des interventions requises.
  • L’État protège à des degrés divers 30 000 bâtis traditionnels au Québec sur les quelques 400 000 encore existants. Il consacre chaque année des millions de dollars sous forme de subventions pour la réalisation de travaux selon les règles de l’art. Or, ces interventions ne sont pas réalisées par des travailleurs formés à cet effet.
  • Est-il cohérent que l’État subventionne des interventions de maintien et de conservation sur notre bâti traditionnel réalisées par des travailleurs sans formation professionnelle structurée ni compétence reconnue par la CCQ pour ce faire? Et cela, pour les seuls bâtis dont l’État a montré l’importance nationale par force de loi afin de les protéger et les transmettre aux générations qui viennent ? La réponse est non. Cette façon de faire est irresponsable et contraire à l’intention du législateur.
  • Les métiers traditionnels de la construction n’ont jamais été reconnus au Québec bien qu’enseignés professionnellement jusqu’en 1969. Cela implique qu’aucun travailleur membre de la CCQ n’a reçu une formation professionnelle appropriée structurée à la pratique des métiers traditionnels de la construction.
  • Nous posons que les travaux de maintien et de conservation réalisés sur notre bâti ancien, qu’ils soient protégés ou non, l’ont étés généralement depuis 40 ans par des travailleurs ne possédant pas la formation professionnelle nécessaires pour ce faire.
  • Devons-nous considérer que les millions de dollars accordés sans vérification appropriée chaque année depuis quatre décennies par le MCC pour le maintien et la conservation de notre façon de construire, d’habiter et d’occuper l’espace ont atteint leur but? Non. Tout indique que ces interventions réalisées par des travailleurs sans formation appropriée ont eu comme résultat de détériorer le message que ses témoins de notre passé voulaient nous transmettre.

C’est le résultat que nous avons obtenu depuis les années 1980, sans réaction des spécialistes du MCC. Et cela continuera année après année, tant que le ministère n’aura pas reconnu la spécificité des métiers traditionnels de la construction et leur rôle incontournable dans la sauvegarde du visage de notre culture.


Article tiré de La Lucarne – Printemps 2019 (Vol XL, numéro 2).

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