La maison Meneux : de méconnue à reconnue

20 janvier 2024

Jean Mantha

À mon arrivée sur l’île d’Orléans, comme Champlain et Meneux, l’aspect bucolique du site de la propriété m’enchante. C’est le coup de foudre! On est à l’automne 1997, lors Île d’Orléans, par un heureux hasard, je découvre la maison de Jacques Meneux dit Châteauneuf construite loin du chemin Royal actuel sur une concession de 1665, dans le bas Sainte-Famille. Sa propriétaire, Mme Liliane Lemelin, m’accueille gentiment et me raconte tout bonnement qu’elle recevait parfois la belle visite de M. Félix Leclerc pour prendre un thé, faire une petite jasette et peut-être s’inspirer de l’endroit. Notre grand poète aurait bien aimé acheter la maison, mais ce fut sans succès. À ma première visite, sans même négocier, Mme Lemelin m’offre d’acheter la propriété. Après plusieurs générations de Lemelin, elle était prête à s’en départir. J’ai eu de la chance cette journée-là!

On arrive à la maison par un long chemin privé qui débute à l’avenue Royale et qui descend la côte en direction nord. On est face au fleuve, à Sainte-Anne-de-Beaupré, au mont Sainte-Anne et au Cap Tourmente. Avec ses murs de pierre blanchis depuis des siècles, la maison est belle et authentique. Elle m’apparaît majestueuse avec ses proportions et ses lignes harmonieuses. C’est un « carré » bien campé au sol. Les ouvertures sont asymétriques. La toiture à forte pente et sa cheminée centrale sont imposantes. Tout près, une immense grange-étable est à demi affaissée. À cette vue d’ensemble, l’on ressent bien l’esprit français du XVIIIe siècle. Pour moi, cette ancestrale presque en ruine mérite de revivre pour quelques décennies encore. Et c’est parti…

À première vue, pour le passionné aveugle et naïf que je suis et de surcroît simple amateur en restauration, je pense réaliser les travaux avec mon frère Claude les fins de semaine sur une période de deux à trois ans, tout en ayant à faire le trajet Montréal -Sainte-Famille et en exerçant ma profession de médecin généraliste 12 heures par jour, quatre jours semaine. Que d’illusions ! Les travaux et le plaisir se sont échelonnés sur presque vingt ans.

Depuis longtemps, à la suite de mes lectures et relectures des livres de Michel Lessard, je rêvais de restaurer une maison ancestrale du XVIIIe siècle. Avec cette acquisition exceptionnelle, je fonçai avec enthousiasme dans ce projet. Je me devais de faire une restauration sans compromis, rigoureuse, voire puriste tout en respectant la simplicité du bâtiment et la nature paysanne des lieux. La recherche et l’utilisation de matériaux et d’éléments architecturaux anciens de qualité et appropriés s’imposaient. Graduellement une équipe d’artisans et de gens passionnés s’est formée pour réaliser les travaux dans un climat de détente, sans échéancier.

L’analyse de la maison et surtout de sa charpente française à poinçons montre qu’elle avait subi plusieurs transformations au cours des siècles. Initialement, le carré de pierre était plus petit et plus bas autour de la vaste cheminée centrale à deux foyers adossés l’un à l’autre. Plus tard, la maison a été surélevée puis rallongée à l’est et à l’ouest. Au mur, une abrasure de porte empierrée donne à penser qu'on y trouvait une laiterie. Le curetage autour de l’âtre de la salle commune dévoile qu’un four à pain était raccordé à la cheminée sur son côté Nord. Dans les combles, on note que, suite aux agrandissements du carré de pierre initial, la toiture était à quatre versants. Tous ces détails architecturaux m’ont amené à choisir de restaurer la maison Meneux dans sa forme actuelle, en lui redonnant l’esprit français résiduel de la fin du XVIIIe siècle, et ainsi contribuer à renforcer le caractère historique de l’île d’Orléans. La finition intérieure et extérieure de la maison de Mme Lemelin remonte à la fin du XIXe siècle et est peu représentative de la fin du XVIIIe.

Mon intention étant de lui redonner ses lettres de noblesse, je fais un curetage « lourd» pour ne conserver que les matériaux nobles d’origine, soit les murs de pierre, les foyers, les plafonds, la moitié ouest du plancher, la charpente lourde à poinçons et quelques planches. Pour ce qui est de la pierre extérieure et intérieure, l’intervention s’est limitée aux endroits fragilisés afin de conserver le plus possible le fin crépi de chaux ancien. Par endroits, des réparations mineures ou majeures ont été faites de pierres anciennes récupérées et les joints tirés à affleurement.

Enfin, le carré de pierre de cinquante pieds sur vingt-quatre pieds a été chaulé. Pour ce faire, j’ai eu la chance d’obtenir de la chaux vive d’un ami chimiste qui s’en était procuré dans la région de Joliette. Pour le bois, suite au curetage, il ne restait que peu de matériaux d’époque; aucune cloison ou mur, aucune porte. Il restait la moitié ouest du plancher du rez-de-chaussée et les magnifiques plafonds de noyer tendre sur leur vieille patine. Comme il manquait beaucoup de matériaux et après avoir vu sur d’autres restaurations le résultat souvent décevant consistant à reproduire l’aspect ancien sur du bois neuf, le choix de rechercher et d’utiliser des matériaux s’avéra mon premier choix. La tâche me semblait presque impossible.

Avec de la chance et l’aide d’amis connaisseurs, j’ai réussi, au fil des années, à trouver les matériaux et les éléments architecturaux nécessaires soit : lambourdes, madriers, planches de cloison varlopées à la main sur une ou deux faces, planches de toiture de maison biseautées aux extrémités, pannes, entraits, volets de fenêtre à dix et à douze petits carreaux, portes d’intérieur du XVIIIe siècle à panneaux vitrés ou non vitrés, portes d’armoire de mur et autres. Un évier de pierre du XVIIIe a même été intégré à la fenêtre de la cuisine à l’ouest. Avec ces nobles matériaux d’époque, on a pu redonner à la maison Meneux l’essence qu’elle avait autrefois soit cet esprit français de la fin du XVIIIe siècle, ce qui lui rend sa valeur patrimoniale.

La restauration s’effectue en plusieurs segments, sur plusieurs années : réfection des murs, de la fenestration, de la toiture, de l’isolation, des planchers, des plafonds, de l’escalier, des armoires de mur, des commodités modernes discrètes et bien intégrées jusqu’à l’aspirateur central. On procède aussi à la réhabilitation de la laiterie et du four à pain. L’étang est réaménagé pour en contrôler le niveau et pour la baignade. Enfin, pour remplacer la grange que l’on a dû démolir, un petit bâtiment du XVIIIe est reconstruit au même endroit. Il s’agit de la plus vieille maison de bois répertoriée de l’île d’Orléans. Après diverses démarches administratives municipales et gouvernementales, elle a été démontée dans le haut Sainte-Famille pour être remontée près de la maison et dans le même axe. Cette maisonnette est bien implantée au sol sur un solage de pierre, ses murs ont un petit fruit , la toiture est à forte pente et sa charpente est similaire à la maison Meneux. La qualité de la restauration de la maison à laquelle s’ajoute ce bâtiment d’exception a permis à l’ensemble de mériter le prix Thérèse-Romer 2023 de l’APMAQ. D’une maison abandonnée et méconnue, elle est devenue la maison Meneux-Mantha restaurée et reconnue!


Article tiré de La Lucarne – Hiver 2023-2024 (Vol XLV, numéro 1).

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