S'inscrire dans la vie d'un bâtiment

20 janvier 2024

À la recherche de la perle rare

Photo : Yves PietteLa jeune génération des années 1960-1970 a pris conscience de l’importance de la conservation des biens de ses ancêtres. Cette tendance s’insère aujourd’hui dans la mouvance écologique de la conservation. Le rêve se résume en une vieille maison dans un cadre bucolique. Combien de superbes maisons du XVIIIe siècle étant situées à côté d’une station d’essence ou devant un cimetière d’autos s’en trouvent complétement dénaturées. Quant à nous, le coup de cœur est apparu en 1984 pour une maison d’inspiration française située au bord de la rivière Richelieu à Chambly. Des travaux de restauration inadéquats tels que l’utilisation de jet de sable pour décaper le bois, l’installation de moulures commerciales inadéquates, des murs porteurs retirés, des poutres coupées, une plomberie datant des années 1940, une entrée électrique insuffisante, etc. La maison avait un grand besoin d’amour!


Subsistance et recherche historique

Vivre dans une maison ancienne avec une jeune famille et effectuer des recherches historiques est une équation mathématique à plusieurs variables. Sans l’histoire du bâtiment, il est difficile de le restaurer en connaissance de cause. Commence la période de stabilisation et de sécurisation de l’édifice et de rénovation de l’électricité et de la plomberie. Les recherches historiques réalisées en parallèle avec les travaux décrits ci-dessus se sont étalées sur une période de onze années. Une étude de Luc Noppen, historien bien connu, sur les bâtiments de la rue de Richelieu, Chambly, réalisée en 1984, a fourni des informations essentielles sur le contexte militaire entourant le bâtiment. Cette étude indique que la maison était située sur un terrain acquis en 1802 par le lieutenant-colonel Gordon du 60e régiment de l’armée britannique. Mais avant cela, qu’en était-il ? Comment et pourquoi le gouvernement britannique a-t-il acquis cette maison?

UNE ERREUR EN 1814

Lors de la guerre de 1812-1814, le gouverneur en chef du Canada était sir George Prévost. Durant son absence, celui qui le remplaçait était le plus haut gradé de l’armée britannique qui, en 1813, était le baron Francis de Rottenburg. Au printemps 1814, l’armée britannique préparait une offensive contre les États-Unis. Le baron, qui réside alors à Montréal, demande qu’on lui trouve une maison où loger à Chambly afin de se rapprocher de ses troupes qui y sont cantonnées. La demande est transmise par la chaîne de commandement jusqu’au commissionnaire du fort. Ce dernier achète la maison et fait part de l’achat à son supérieur qui lui rappelle qu’il devait chercher une maison et non en acheter une. Mais les autorités supérieures acceptent l’achat et le bâtiment fait alors partie des installations de l’armée britannique à Chambly. En 1823, un relevé des installations de l’armée montre un plan et une coupe de la maison. Il indique que la maison subit alors d’importantes transformations.


Une saga judiciaire en 1800

Le lieutenant-colonel Gordon a acquis la maison de son cousin Napier Christie en 1802 lequel, au décès de son père, Gabriel Christie, était devenu le nouveau seigneur de Chambly. Gabriel Christie avait acquis de Jean-Baptiste Boucher de Niverville la seigneurie de Chambly, en 1796. Dès lors, il s’applique à acheter tous les terrains en bordure des rapides de la rivière Richelieu pour y construire son manoir et son moulin. Dans ce contexte, il devait acquérir le terrain et la maison de Toussaint Ferrière dans une entente d’échange de maisons. Lors du décès de Gabriel Christie en 1799, l’entente était prête à être signée, mais ne l’a pas été. Entre-temps, Toussaint Ferrière voit sa maison saisie par la justice et vendue à l’encan. C’est Sarah Christie, veuve de Gabriel Christie, qui en fait l’acquisition lors de l’encan judiciaire. L’entente d’échange de maisons est, par la suite, signée.


MAIS AVANT… 1800

Toussaint Ferrière a acquis le terrain avec maison d’Amable Monty en 1786. Dernièrement, Raymond Ostiguy, chercheur bénévole, a découvert un procès-verbal d’arpentage de 1790 qui spécifie que l’emplacement de Toussaint Ferrière provient d’une concession qu’en a fait le seigneur de Niverville au sieur François Neveu son gendre. Une maison y aurait alors été construite par Michel Lagus dit Sanscartier, en 1742. Comment le terrain et la maison de François Neveu se sont retrouvés entre les mains d’Amable Monty, cela reste à découvrir.


FIXER UNE DATE DE RESTAURATION DE LA FAÇADE DE LA MAISON

La maison a été modifiée depuis sa construction. Un bâtiment évolue en fonction des modes et des besoins de ses occupants et de leur goût. Faisant suite à sa construction originale qui semble remonter à 1742, la maison a été modifiée de façon importante en 1823. La façade a subi des transformations dans la seconde moitié du XIXe siècle; c’est ainsi qu’une porte à vantaux a été installée et qu’une des fenêtres a été murée. Au milieu des années 1940, la maison a subi une nouvelle transformation majeure. Elle a été recouverte de bardeaux d’amiante, la galerie avant a été enlevée pour être remplacée par un porche, les trois cheminées intérieures ont été détruites et remplacées par une nouvelle cheminée extérieure en brique, et plusieurs autres modifications ont été effectuées. À la lumière de toutes ces informations, on a décidé de restaurer la façade de la maison selon le plan militaire de 1823 en excluant la réfection de la galerie, pour éviter les infiltrations d’eau résultant du changement de pente des toitures. La toiture a été recouverte de bardeau d’asphalte pour des raisons économiques. Le revêtement en planches verticales s’explique par la découverte d’un revêtement antérieur avec ce matériau. Cependant la description apparaissant sur le plan de 1823 laisse penser qu’il y avait un revêtement en planches horizontales à clins (clapboard). La maison est blanche, mais la couleur de la porte est jaune pour faire un rappel au fait que la maison était désignée au début du XIXe siècle comme étant la maison jaune.


DES CHOIX

La restauration d’une maison est une question de choix. C’est l’œuvre d’une vie. Le budget est un élément clé. Il y a le choix du style se rattachant à l’époque. Lorsque le bâtiment n’a pas subi de transformations, le choix est facile. Dans d’autres cas, cela devient plus compliqué. Qu’est-ce qui détermine si un bâtiment doit être conservé? Faut-il tout remettre exactement comme à l’ancienne? Quels sont les compromis acceptables et dans quels cas ? Qu’en est-il de l’environnement d’un bâtiment ancien? Le plus beau des bâtiments anciens perd tout son charme et sa valeur selon son emplacement. Et cela relève de la volonté des municipalités d’aménager leur territoire de façon à conserver un cadre acceptable pour les bâtiments anciens qu’elles veulent protéger.

Extrait de la carte : Chambly Govemment Reserve ABCD, 1823. Source BAC

Photo de la maison au début des années 1940

Photo de la maison au début des années 1950 après les travaux de rénovation. Collection de la famille Mc Farlane


Article tiré de La Lucarne – Hiver 2023-2024 (Vol XLV, numéro 1).

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