C’est un véritable coup de coeur (et le hasard) qui, après une année difficile, m’a menée jusqu’à elle. Je l’ai découverte d’abord en photo alors que je cherchais à louer une maison de campagne. Quel bonheur d’apprendre qu’elle était aussi à vendre !
Quelle maison chaleureuse et authentique dès l’entrée au rez-de-chaussée, avec son foyer de pierre imposant au milieu d’une pièce de séjour dont les murs sont recouverts de bois, ses plafonds de planches et les poutres apparentes. Ses nombreuses fenêtres à battants à carreaux font en sorte que le dehors n’est jamais bien loin. À l’étage, les greniers défaits révèlent la structure sur une hauteur de 16 pieds en son centre et la cheminée de pierre s’y prolonge.
Le bâtiment… constitue un exemple de l’architecture rurale de la fin du XVIIIe siècle — Avis de catégorisation, ministère de la Culture et des Communications, 6 mars 2023.
L’extérieur de la maison se distingue par sa construction pièce sur pièce de type franco-québécois. Le revêtement est en planches verticales peintes en blanc. Son plan est carré et ses fondations sont en pierre. De l’extérieur, les murs sont plus larges à la base, mais à l’intérieur ils sont verticaux. « La charpente est assemblée en queue d’aronde et forme un fruit ». (Répertoire du patrimoine culturel du Québec.)
Son toit, à deux versants droits légèrement retroussés, est recouvert de bardeaux de cèdre. La maison a subi par le passé diverses transformations : « À l’origine, c’était une couverture de planches. Ces planches étaient disposées verticalement… cette couverture fut sans doute enlevée vers 1800… et remplacée par une couverture de bardeaux ». (Notes historiques rédigées par Clément Plante, mars 1972.)
Il est possible de voir sur une photo prise avant sa restauration que la toiture était à ce moment en tôle. La maison est bâtie sur un lot typique du système seigneurial en bordure de l’ancien Chemin du Roy (aujourd’hui Route du Pied-de-la-Côte). L’environnement, comprenant plusieurs vieux bâtiments de ferme, a conservé sa vocation agricole. C’est, sans aucun doute, la connaissance de l’histoire de la maison qui lui vaut toute sa richesse. Divers documents relatant les efforts qui ont été faits pour justifier son sauvetage in extremis se transmettent d’un propriétaire à l’autre : photos d’avant 1978, recherches architecturales et historiques, plans d’architecte, copies des actes notariés depuis l’achat de la terre par Charles « Doucette », et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Charles Élysée Doucet (né le 17 septembre 1738) vint s’établir à Sorel, avec ses parents Alexis Doucet et Madeleine Léger vers 1762. Il était originaire de Saint-François à Port-Royal en Acadie (aujourd’hui Annapolis Royal — Nouvelle-Écosse). Il a fui la Déportation de 1755. Il se marie à Sorel, le 8 février 1762, avec Marguerite Landry (née le 9 mars 1739 à Port-Royal), fille de Jean-Baptiste Landry et d’Anne Petitot-dit-Saint-Seine.
Le 12 juillet 1765, il achète au prix de trente livres (acte de vente rédigé par le notaire Pierre-François Rigaud de Maskinongé) la terre de Jean-Baptiste Drolet et de son épouse Madeleine Sicard de Carufel sur laquelle il s’établit avec sa famille ; sa descendance y vivra pendant cinq générations.
Le 17 novembre 1766, devant le même notaire, il reçoit un acte de concession de Rosalie Bruno, seigneuresse principale de Maskinongé, pour sa terre de trois arpents de front par vingt arpents de profondeur. C’est probablement à cette époque que Charles Doucet construisit sa maison. Charles et Marguerite donnèrent leur maison à leur fils aîné, Michel, le 9 avril 1794. Par la suite, la maison sera transmise de génération en génération au premier enfant mâle (Charles à Michel à François-Xavier à Alexandre à Antonin). Antonin Doucet en fut le propriétaire jusqu’à sa mort le 21 août 1967. (Clément Plante, mars 1972.)
En 1971, la maison est vendue avec la terre et les bâtiments à un agriculteur voisin. Celui-ci souhaite démolir la maison pour rattacher le terrain à ses terres agricoles. C’est grâce à un effort citoyen qu’elle échappe à la démolition. Entre autres, Serge Philibert présente au ministre Jean-Paul L’allier un dossier qu’il a compilé avec Clément Plante, le priant d’intervenir afin de protéger la maison. (Lettre datée du 26 août 1975.) La maison sera classée immeuble patrimonial en 1978. Elle sera restaurée selon des plans de l’architecte Gilles Parizeau. Deux cent cinquante ans plus tard, la maison est toujours vivante, solide et fière, grâce à toutes ces personnes qui en ont pris soin et qui ont contribué à la protéger.
Article tiré de La Lucarne – Automne 2023 (Vol XLIV, numéro 4).
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