Quel mortier pour nos bâtiments historiques ?

6 juillet 2023

Élizabeth Cloutier, restauratrice spécialisée en pierre et dérivés

Le ciment Portland, un couteau à deux tranchants

Mortier de ciment Portland qui induit des dégradations (désagrégation) à la pierre à proximité plutôt que de jouer son rôle sacrificiel.Pour clore la série sur les mortiers, il était inévitable de discuter du liant qui aura supplanté, dès son invention, tous les autres dans la fabrication du mortier. Le ciment Portland représente en effet l’une des technologies les plus marquantes de la fin XIXe siècle. Il est, encore aujourd’hui, le liant le plus répandu dans le monde et, associé à l’emploi de l’acier dans les structures, il aura permis des prouesses d’ingénierie encore inégalées.

Performant et facile d’emploi, le ciment Portland assure une bonne adhérence et atteint ses propriétés mécaniques maximales rapidement. Il répond donc très bien à nos exigences contemporaines liées à la rapidité et à l’efficacité d’exécution.

Dégradation typique d’un joint de mortier de ciment Portland qui, dû à sa rigidité et sa densité, s’est décollé d’un côté et est extrêmement adhérent de l’autre.En revanche, il est essentiel de se rappeler que, malgré sa performance dans les constructions neuves, le ciment Portland sera, par ses caractéristiques, dommageable pour le bâtiment ancien. On se demande alors pourquoi. Avant de répondre à cette question, rappelons-nous quelques principes fondamentaux quant à la conservation de nos bâtiments anciens : d’abord, les mortiers, tout comme les enduits, sont des matériaux sacrificiels. Ils doivent être en mesure de se dégrader afin de protéger la maçonnerie qu’ils lient. De plus, le mortier doit être compatible avec la pierre sur laquelle il est posé ; ses propriétés physiques et chimiques (porosité, densité, perméabilité, composition, etc.) doivent être proches, ou inférieures, à celle de la pierre en question. Le mortier pourra alors se dégrader de façon préférentielle lorsqu’il est exposé à des facteurs de dégradation (gel-dégel, sels solubles, etc.). Il sera aussi plus facile et surtout moins coûteux de remplacer le mortier lors d’une campagne de rejointoiement plutôt que de remplacer des sections de maçonnerie. Enfin, le principe de « retraitabilité » rend possible des interventions futures sur la maçonnerie sans créer de dommages aux matériaux déjà présents.

À chacun son mortier

Quelle est donc l’alternative ? De nos jours, les maçons préparent des mélanges de liant, de chaux aérienne et de ciment Portland afin d’obtenir des caractéristiques intermédiaires : adhérence calibrée, porosité plus élevée, densité moindre. Le mortier est alors mieux adapté à la maçonnerie de pierre. Nous pouvons également modifier les proportions en ajoutant plus de chaux pour les maçonneries de pierre plutôt tendre comme le calcaire, et plus de ciment Portland pour les maçonneries de pierre plutôt dense comme le granit. Cependant, cette approche n’est pas parfaite et une bonne calibration de ces proportions chaux-ciment Portland demeure complexe pour bien répondre aux besoins spécifiques de chaque maçonnerie.

La chaux hydraulique : on gagne à la connaître

Mortier de chaux hydraulique avec une bonne adhérence.L’emploi de chaux hydraulique dans les mortiers constitue une autre alternative au ciment Portland. Cette chaux qui, tout comme le ciment Portland a besoin d’eau pour faire sa prise (d’où le nom hydraulique), aura naturellement des qualités intermédiaires entre la chaux aérienne et le ciment Portland. Comparativement au ciment Portland, elle sera plus souple et plus perméable tout en étant adhérente. Le mélange des liants, comme pour l’ajout de chaux hydratée dans le ciment Portland, ne sera donc pas nécessaire. Même si cette caractéristique tend à simplifier son utilisation, l’emploi de la chaux hydraulique dans les mortiers devra remplir certaines conditions si l’on veut que cette opération soit un succès.

En effet, on n’utilise pas la chaux hydraulique comme on utilise le ciment Portland ! D’abord, les mortiers de chaux hydraulique seront plus riches en liants (plus gras) que les mortiers conventionnels. Ils seront plus adhérents et dès lors mieux adaptés à notre climat. Puisqu’ils atteignent leur performance optimale plus lentement, le délai d’application se limitera à trois mois avant le premier gel. Enfin, le mortier de chaux hydraulique nécessite la présence d’humidité constante lors de sa prise et on doit ensuite retravailler les microfissures qui tendent naturellement à apparaître à la surface. Même si la chaux hydraulique est plus adaptée au bâti ancien que le ciment Portland, il faut s’assurer que le maçon connaisse ce matériau et sa mise en œuvre avant d’entreprendre des travaux. L’une des clés d’un projet de chaux hydraulique réussi est de respecter impérativement les conditions de mise en œuvre de ce matériau et de prendre le temps de faire quelques essais avant de réaliser des travaux à grande échelle.

Enfin, le ciment Portland et la chaux hydraulique présentent tous les deux des qualités. L’un répond à nos besoins contemporains de performance et d’entretien minimal mais sera dommageable à moyen terme pour nos bâtiments anciens. L’autre, plus complexe à mettre en œuvre, sera plus compatible et respectueux de nos maçonneries anciennes. Ce sont là deux éléments essentiels à prendre en considération dans une perspective de durabilité.


Article tiré de La Lucarne – Été 2023 (Vol XLIV, numéro 3).

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