Les résultats du sondage de l’APMAQ sur l’assurance des maisons anciennes sont on ne peut plus clairs et éloquents : un peu plus de 50 % des propriétaires de ces demeures affirment avoir eu des difficultés à les assurer. Cela se traduit par des primes ou des hausses de primes démesurées, des couvertures partielles ou inadéquates ou, comme cela se produit de plus en plus souvent, carrément des refus purs et simples. L’émission La facture1 sur le même sujet vient appuyer sans équivoque les résultats tirés du sondage.
À la suite de la disparition du programme Heritas2 et alors que la Loi 69 entrait en vigueur3, un défi se posait à l’APMAQ : identifier un assureur disposé à collaborer avec elle en vue de l’établissement d’un produit d’assurance spécifique aux maisons anciennes comme l’avait été le programme Heritas.
Force nous a été de constater que la solution ne résidait pas dans la création d’un programme offert par un seul assureur et, que de toute façon, la concentration observée depuis plusieurs années dans cette industrie ne le permettrait tout simplement pas. Il faut également savoir que l’industrie de l’assurance est sujette à des cycles que l’on dit « durs » et « mous ». Le premier terme fait référence à une période de consolidation, alors que le second se réfère à une période de développement et de recherche de nouveaux marchés. Tous s’entendent pour dire que le marché actuel est « dur », et que les efforts sont consacrés à la conservation des acquis.
Au cours des vingt dernières années, l’APMAQ s’est largement investie dans le dossier de l’assurance des maisons anciennes afin que soit créée pour celles-ci une assurance dont les primes seraient établies d’après l’état de la maison et le risque réel que celle-ci représente plutôt qu’en fonction de mythes et de préjugés.
Malheureusement, et depuis plusieurs années, la tendance ne va pas en ce sens. Vous avez peut-être vu des publicités d’assureurs qui font la promotion de leurs applications pour téléphone intelligent et tablette numérique permettant d’assurer une propriété en quelques minutes. On coche des cases, on clique sur oui ou sur non à quelques questions et le tour est joué, vous êtes couvert. Ou non. Il faut, a priori, faire partie du marché ciblé.
1 Diffusée à Radio-Canada, le 17 janvier 2023, sur le même sujet.
2 Le programme Heritas, créé en 2014 par la compagnie Dale Parizeau Morris MacKenzie devenue par la suite Lussier Dale Parizeau, s’adressait spécifiquement aux propriétaires de maisons anciennes du Québec.
3 La Loi 69 : loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel et d’autres dispositions législatives.
Les maisons anciennes ne font absolument pas partie de ce marché cible. Pour les assureurs, ces dernières sont considérées comme faisant partie d’un marché « de niche » bien que leur nombre soit estimé au Québec à plus ou moins trois cent cinquante mille. Prendre sérieusement en compte les maisons anciennes supposerait que les compagnies d’assurance procèdent, entre autres choses, à des analyses comparatives et ajustent leurs questionnaires en ligne au bilan de santé des maisons anciennes ; on entend par là les techniques de construction, les particularités et la durabilité des matériaux et des composantes (ouvertures, toiture, revêtement, etc.). De plus, une compréhension approfondie des différents statuts patrimoniaux que peuvent détenir les maisons anciennes est essentielle à une décision judicieuse. C’est hélas un domaine dans lequel il existe un haut degré de confusion, autant du côté des propriétaires que des assureurs.
La Loi 69, entrée en vigueur en avril 2021 qui vise à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine immobilier, ajoute à la confusion. Cette loi prévoit « l’obligation pour les municipalités régionales de comté (MRC) de se doter d’un inventaire des immeubles qui présentent un intérêt patrimonial sur leur territoire ». Le but du gouvernement actuel n’était certainement pas d’accentuer la crainte des assureurs face à une maison inscrite dans un inventaire patrimonial. Pourtant, le résultat est le même. Le degré d’incertitude de l’assureur augmente, ce qui se répercute sur les propriétaires de ces maisons nouvellement répertoriées, même si les obligations réglementaires concernant la remise en état après sinistre n’en dépendent pas. Les règlements d’urbanisme, notamment dans le cas d’un PIIA (Plan d’implantation et d’intégration architecturale), assujettissent toutes constructions, anciennes et contemporaines, à des normes et à des critères de remise en état.
Quelles sont alors, en 2023, les pistes de solution ? Depuis deux ans l’APMAQ multiplie les rencontres avec le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCCQ), le Bureau d’assurance du Canada (BAC), les réassureurs (car les compagnies d’assurance assurent, elles aussi, leurs risques), nos homologues au Canada anglais (ils ont évidemment les mêmes problèmes) et, finalement, plusieurs compagnies d’assurance oeuvrant sur le territoire québécois, mais également avec d’autres qui font affaire à l’étranger. Ces rencontres n’ont d’autre but que de trouver des solutions durables et applicables à l’ensemble de l’industrie de l’assurance. Oui, vous l’aurez compris, le défi est colossal.
Bien sûr, le MCCQ est le premier concerné puisque la Loi 69 relève de lui. Cependant il ne devrait pas, selon nous, être le seul au sein de l’appareil gouvernemental à se préoccuper de la situation. Bien que le but visé par la Loi 69 soit la préservation du patrimoine bâti, un problème aigu d’assurance pourrait avoir exactement l’effet contraire et entraîner des répercussions importantes aux plans financier et environnemental. Le ministère des Finances et le MELCCFP (ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs) devraient tout autant se sentir interpellés et participer aux tables de discussion.
Les compagnies d’assurance se rapportent à l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui relève du ministère des Finances. Ce dernier a certainement dans sa manche quelques arguments de poids pour amener les assureurs à discuter sérieusement de solutions pérennes et satisfaisantes pour tous. Par ailleurs, près de 30 % de tous les déchets acheminés dans les sites d’enfouissement ou vers les incinérateurs sont des déchets de construction et donc, en bonne partie, de démolition. Une maison que l’on refuse d’assurer est une maison qui risque de ne pas être entretenue et qui pourrait éventuellement augmenter le volume des déchets de construction, ce qui, selon l’APMAQ, devrait inciter le ministre de l’Environnement à considérer que les problèmes d’assurance des maisons anciennes sont aussi les siens.
Le Québec a une histoire riche, ancrée dans son territoire, sa culture et son patrimoine bâti. Nos maisons sont les témoins privilégiés de l’évolution de notre société ; elles reflètent aussi les traditions et le savoir-faire de nos artisans et de ceux qui en ont pris la relève et qui continuent avec passion à entretenir ce patrimoine. On a fait un pas en reconnaissant par la Loi 69 la valeur immense de cet héritage. La suite logique à laquelle nous devons penser en tant que société, et ce de façon urgente, est la protection de ce patrimoine identitaire. La première étape est un accès à une couverture d’assurance décente à des conditions acceptables.
Les propriétaires, gardiens et gardiennes en première ligne du patrimoine, n’arriveront pas, par leurs seuls moyens, à mettre tout cela en place. Il est impératif que le gouvernement du Québec, par l’entremise de certains de ses ministères, collabore avec les assureurs, afin d’identifier la meilleure façon de transmettre cet héritage aux générations futures. L’APMAQ est tout à fait disposée à y apporter son concours.
Résultat du sondage sur l’assurance des maisons anciennes.
Article tiré de La Lucarne – Printemps 2023 (Vol XLIV, numéro 2).
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