D’apparence simple, mais essentiellement complexe, les enduits occupent l’esprit des professionnels en conservation depuis les dernières décennies. Sans entretien, résistant aux sels et aux cycles de gel-dégel, compatibles avec tous types de maçonnerie, faciles d’application, respirants et durables. Nous sommes tous à la recherche du mélange qui répondra miraculeusement à l’ensemble de nos exigences modernes !
Mais d’abord, prenons un peu de recul…
Initialement conçu pour protéger les maçonneries de pierre, l’enduit se retrouvait partout sur notre territoire : il revêtait autant les murs extérieurs que les murs intérieurs de nos bâtiments. Au Québec, les années 1970 furent sombres pour les enduits. Les campagnes de restauration de cette époque étaient destinées à dévoiler les murs de pierre retrouvant ainsi, selon une perception erronée, un « état authentique ». Des gravures anciennes témoignent de l’omniprésence des enduits aux couleurs claires dans le Vieux-Québec des XVIIe et XVIIIe siècles.
La tendance au curetage1 des années 1970, approche maintenant dépassée, ne fut pas sans conséquence. D’une part, la population se sera habituée à voir le bâtiment ancien dégarni de sa finition lisse, ce qui marquera les esprits au détriment de l’enduit. D’autre part, la demande n’étant plus au rendez-vous, les artisans-maçons et plâtriers délaissèrent en grande partie la technique, ce qui eut pour conséquence la perte des savoir-faire traditionnels associés.
Aujourd’hui, le vieillissement prématuré de nos maçonneries, autre conséquence de ces restaurations passées, démontre la nécessité de conserver et de rétablir la pratique traditionnelle de nos enduits. Ce retour en arrière n’est toutefois pas si simple. Nous nous retrouvons devant le besoin de rétablir une technique qui était, autrefois, maîtrisée et omniprésente.
Pour rappel, voici la composition des trois couches successives qui constituent l’enduit. L’accroche est la première couche appliquée directement sur le mur. Elle est la plus grossière et sert généralement à niveler le mur en remplissant les cavités les plus importantes. L’accroche peut atteindre une épaisseur de deux centimètres selon l’irrégularité du mur qu’elle recouvre. Il est parfois nécessaire d’en faire deux applications. La couche successive se nomme le dressage. Cette strate intermédiaire est plus lisse et plus mince que l’accroche, de quelques millimètres seulement.
Ses agrégats, le sable, sont plus fins puisque tamisés et elle est, selon les régions et la période historique, plus riche ou plus faible en liant (la chaux) que la couche sous-jacente. À cette étape, on cherche à rendre une belle finition lisse et homogène, mais pas toujours complètement plane. Enfin, le badigeon, cette couche de finition très fine, généralement sans agrégat, se rapproche plus de la peinture que de l’enduit. Elle se compose uniquement de chaux et de pigments et donne son aspect final à l’ensemble. Comme dépeint dans la gravure du Vieux-Québec de Cockburn (ill. 1), l’enduit était souvent de couleur claire et coloré selon la disponibilité des pigments : anciennement, les ocres donnaient le rose, le beige et le jaune, et la suie donnait les gris.
Rappelons-nous que les techniques et matériaux employés dans la construction de nos bâtiments anciens étaient intimement liés au territoire. Les recettes d’enduit et les particularités de chacune des couches étaient elles aussi influencées par cette régionalité. En effet, elles pouvaient dépendre de l’origine du maçon, de la période historique et du niveau d’adaptation au climat.
Aujourd’hui, heureusement, la tendance des années 1970 s’inverse doucement : la vision est dorénavant à la réfection plutôt qu’à la démolition. Dans cette optique, deux avenues sont possibles lorsque nous voulons intervenir sur les enduits : conserver et restaurer, ou refaire et remplacer. Le premier pas à faire lorsque la question se présente est bien sûr de constater l’état de l’enduit et de la maçonnerie qu’il protège. En effet, il serait imprudent de négliger l’état des pierres et du mortier qui composent le mur. Un bon enduit appliqué sur une maçonnerie en mauvais état aura tôt fait de présenter des dégradations.
À la simple observation d’un enduit, plusieurs dégradations spécifiques peuvent être relevées : décollement, fissures, désagrégation, taches noires, lacunes. Toutes dépendent de différents facteurs pouvant être issus de la mise en oeuvre, de la composition ou du contexte. Un enduit dont l’accroche a été mal exécutée, par exemple si appliquée sur des pierres ou des sous-couches trop lisses, aura tendance à se décoller en plaques et à former des lacunes plus ou moins importantes. En revanche, un enduit composé d’une trop grande proportion de ciment Portland formera une coquille rigide, compacte et très peu perméable sur la maçonnerie. Ce même enduit causera, avec le temps, des dégradations à la maçonnerie plutôt que de remplir sa fonction sacrificielle. En effet, il est préférable de refaire un enduit plutôt que de refaire une maçonnerie.
Enfin, un enduit situé en ville, à proximité d’un trottoir, présentera des dégradations liées aux sels solubles issus des sels de déglaçage et aux remontées capillaires. Ce phénomène physique permet aux sels, véhiculés par l’eau, de remonter dans les matériaux poreux (pierres, mortier et enduits) qui constituent le mur et qui agissent telle une éponge, pour finalement faire éclater les matériaux, causant l’effritement de l’enduit. Par ce même phénomène, l’eau, impliquée dans les cycles de gel-dégel, aura tendance à créer des dégradations semblables à celles causées par les sels.
La question de l’intervention se présente alors : conserver et restaurer, ou refaire et remplacer ? À moins d’être devant une situation désastreuse, il est rare de devoir refaire un enduit dans son entièreté, en particulier si celui-ci est intact et ne présente que des dégradations limitées. La présence de fissures, de lacunes, et même de décollements, peut être résolue de façon simple, avec des interventions ciblées.
Conserver un enduit en le restaurant demande cependant des compétences spécifiques. Le restaurateur sera, dans ce cas, le meilleur allié. Il sera en mesure de poser le diagnostic et d’offrir des conseils pour les prochaines étapes. Guidé par un code de déontologie, le restaurateur poursuivra toujours et avant tout un objectif de conservation.
Plusieurs techniques de restauration sont possibles, en particulier lorsque la volonté est de conserver un enduit qui a une valeur historique connue. Pour résoudre les problèmes de décollement, l’injection de coulis de mortier est pratiquée. Un mortier liquide, composé de chaux, d’agrégats extrêmement fins et d’additifs, est injecté dans les vides causés par le détachement des couches d’enduit.
En présence de fissures, des comblements ciblés peuvent facilement résoudre le problème, si toutefois aucun problème de structure sous-jacent n’est présent. Le même principe s’applique aux zones lacunaires, c’est-à-dire aux sections d’enduit manquant. Dans tous les cas, lorsqu’un nouvel enduit cohabite avec un enduit ancien, la question de la compatibilité et de l’affinité est fondamentale. Pour les comblements, il sera nécessaire de choisir un enduit dont la composition, les caractéristiques physiques et l’aspect visuel sont proches de l’enduit déjà en place, sans quoi des problèmes de vieillissement prématuré de l’un ou l’autre des enduits auront tôt fait d’apparaître.
Enfin, l’apparition de coulures noires ou vertes sur la surface d’un enduit indique fort probablement une colonisation de microorganismes. La présence d’eau est, dans ce cas, le principal facteur de dégradation. Une brosse de nylon avec de l’eau à basse pression peut rapidement remédier à ce problème.
Remplacer, ou refaire ? Lorsque l’enduit est fortement dégradé ou complètement absent, il sera alors pertinent de le refaire ou de le remplacer. L’envergure de ce type d’intervention demande de respecter les caractéristiques d’un bon enduit, c’est-à-dire : une perméabilité à la vapeur d’eau, pour que les échanges gazeux entre l’intérieur et l’extérieur s’opèrent ; une imperméabilité à l’eau sous forme liquide pour éviter les infiltrations ; une bonne adhérence entre les couches d’enduit et le support, qui permettra à l’enduit de se maintenir en place ; enfin, le respect de la succession des couches et de leurs caractéristiques spécifiques.
Dans ce type d’intervention, l’artisan-maçon ou le plâtrier saura vous accompagner dans le processus de réfection ou de remplacement de l’enduit.
Une autre clé pour conserver un enduit en bonne condition est son entretien. Toutefois, l’emploi de matériaux sans entretien, très rarement adéquat pour les bâtiments patrimoniaux, est trop fréquent. Bien choisir la finition, par exemple, sera déterminant pour la durabilité de celle-ci et de l’enduit. Une peinture ou un badigeon mal choisi pourrait, en l’espace de quelques années, présenter des soulèvements généralisés et créer un casse-tête complexe pour les propriétaires et les professionnels. Il sera alors très difficile de corriger la situation sans faire entièrement marche arrière, ce qui sous-entend le retrait complet de la couche de peinture, et ultimement, de l’enduit.
Malheureusement, beaucoup de matériaux prêts à l’usage, généralement destinés aux nouvelles constructions, sont distribués et utilisés sur les bâtiments anciens au Québec. Facile d’emploi et en apparence durable, ces produits peuvent être très dommageables pour une maçonnerie ancienne. Les propriétaires de maisons patrimoniales doivent, en l’occurrence, se montrer d’autant plus vigilants. Il sera alors essentiel de poser des questions aux entrepreneurs pour s’assurer que ces derniers sélectionnent le mortier et la couche de finition convenant au bâtiment, et ainsi valider leur connaissance de la bonne mise en œuvre des enduits. De surcroît, il n’est pas rare que le propriétaire se retrouve démuni face à la rareté de la main-d’œuvre compétente. Mais conformément à la loi du marché, l’augmentation de l’offre ne saura tarder si la demande continue à croître.
1 C’est-à-dire dégarnir un bâtiment pour en révéler son « essence », son « authenticité » selon une perception romantique de la conservation.
Article tiré de La Lucarne – Printemps 2023 (Vol XLIV, numéro 2).
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