Un four à pain traditionnel à Cap-Santé

26 mai 2022

Dave Bélanger

L’idée de construire un four à pain ne date pas d’hier. Nous y songions déjà il y a 20 ans lorsque mon grand-père Chiasson, pour nous remercier d’avoir organisé un voyage au pays de son père au Cap-Breton, nous fit cadeau d’une huche à pain qu’il avait lui-même fabriquée. Plusieurs années plus tard, nous avons participé à la construction du four à pain chez notre belle-famille de Saint-Zénon. C’est à ce moment que nous avons fait la connaissance de Jean Laberge, un expert dans la construction de fours à pain traditionnels en argile. [https://fourapain.ca] Nous nous sommes donc lancés dans l’aventure avec Jean ainsi qu’avec nos voisins, Lyne et Michel, qui eux aussi caressaient le projet d’en posséder un.

La construction s’est déroulée en trois étapes. Nous avons d’abord déterminé le meilleur endroit, soit un site près de la maison pour faciliter les allers-retours entre la cuisine et le four, un emplacement très pratique en hiver ! Nous avons aussi tenu compte des vents dominants pour éviter que la fumée du four ne s’infiltre par les ouvertures de la maison. Après avoir préparé le sol, Jean et son équipe ont alors procédé au montage d’une structure en pruche assemblée à queue d’aronde. Nous avons ensuite coulé sur cette base une dalle de béton d’environ quatre pouces de hauteur ; le tout a pu sécher pendant quelques jours (ill.1).

Comme une corvée à l’ancienne, nous avons fabriqué le four lui-même avec l’aide de Jean, de nos voisins et de plusieurs amis. À l’époque, le moule du four était constitué d’un assemblage de branches vertes et flexibles d’aulnes sur lequel était appliqué un mélange d’argile et de paille. Pour accélérer le processus, Jean avait déjà préparé un moule constitué de lattes de pin recouvertes de jute. Avant d’installer le moule sur la dalle de béton, nous avons installé des briques réfractaires sur ladite dalle pour favoriser la cuisson. Nous avons ensuite fixé les portes du four sur la dalle, puis nous avons déposé le moule sur les briques de manière à ce qu’il s’adosse aux portes. Comme le four est fabriqué à partir d’argile et de paille, il fallait mélanger adéquatement ces deux ingrédients. Soulignons qu’il est possible d’utiliser de l’argile trouvée sur place, s’il y en a. Puisque le comportement de cette dernière peut varier d’un sol à l’autre, nous avons préféré l’achat d’argile en sacs. Cette argile doit être mélangée à de l’eau et à un peu de sable jusqu’à la consistance souhaitée. Deux à trois personnes sont donc nécessaires pour mélanger les ingrédients avec leurs pieds, un peu comme on foule le raisin pour en faire du vin (ill. 2). Une fois l’argile reconstituée, on la mélange avec de la paille (ill. 3). Cette dernière agit comme une armature qui rend la structure plus solide. Il faut prévoir au moins quatre à cinq personnes qui préparent des boules d’argile et de paille de dix pouces de diamètre et environ six heures de travail. Ces boules sont alors appliquées et compactées à la main sur le moule du four (ill. 4). Le moule finit par être recouvert de six à dix pouces d’argile selon les besoins à combler sur le four. On laisse ensuite sécher le four sans toutefois l’exposer directement au soleil. La chaleur directe peut en effet créer un séchage inégal. Comme la semaine était très chaude et très ensoleillée, nous avons superposé un abri de soleil au-dessus pour le temps de séchage.

Quelques jours plus tard, on pouvait observer deux importantes fissures sur le four ! Jean nous a toutefois rassurés en indiquant que c’était normal à l’étape du séchage. Il avait d’ailleurs réservé à cet effet un seau d’argile pour colmater toutes les brèches. Pendant ce temps, nous pouvions nous affairer à la construction du toit (ill. 5). Ce dernier est en effet nécessaire puisque, si l’argile n’est pas protégée de la pluie, elle se liquéfie. Au moment de construire le toit, nous avons allumé le premier feu ; ceci a permis de consumer le moule. Notre four était enfin prêt à fonctionner et nous ne nous sommes pas fait prier pour en profiter !

La cuisson au four à pain implique naturellement le préchauffage de ce dernier. On démarre avec un petit feu tout près des portes qu’on pousse environ toutes les 10 minutes vers le fond à mesure qu’on ajoute du bois. Environ deux heures suffisent pour atteindre la température idéale ; on peut alors rentabiliser ce travail de préparation. On démarre par la cuisson de pizzas, de blé d’Inde dans l’enveloppe, de légumes en papillote ou de grillades en poêlon de fonte. Comme la cuisson se fait tant par la braise que par la masse thermique d’argile, les steaks sont prêts en moins de deux minutes et les pizzas en moins de trois minutes ! Pour les poissons en papillote, les tartes, les muffins et, bien entendu, le pain, on doit préalablement retirer les braises et laisser tempérer quelque peu le four. À la toute fin, on peut procéder à la cuisson de mijotés, de fèves au lard, de cigares au chou et autres dont la cuisson s’étalera sur plusieurs heures, voire toute la nuit pour les fèves au lard. Bref, la fonction culinaire du four déborde largement de la simple cuisson du pain (ill. 6 et 7).

L’histoire montre que le four à pain pouvait être utile à d’autres fonctions. Il était possible, par exemple, de fumer le poisson en le suspendant au-dessus des portes d’où s’échappe la fumée. Le four était aussi utilisé à la désinfection des vêtements ou des draps pour les débarrasser des poux et des tiques. Il pouvait également servir à aseptiser les duvets de poulet ou de canard dans la confection d’oreillers. On pouvait encore en profiter pour le séchage des herbes comme la sarriette et parfois même, pour le séchage du bois. Nous n’avons pas encore expérimenté toutes ces fonctions extraculinaires et ne tenons pas forcément à le faire, notamment en ce qui concerne les poux ! Nous avons toutefois utilisé le four pour la mise en conserve de légumes : une expérience à peaufiner. Mais au-delà de tous ces usages, on ne peut passer sous silence que le four à pain est un objet rassembleur, été comme hiver (ill. 8). Nos invités sont toujours curieux de le voir fonctionner, d’en constater le potentiel… et d’en déguster les délices !

Mes remerciements à Nathalie Trudel, ma muse.

Pour en savoir davantage :
BOILY, Lise et Jean-François BLANCHETTE. Les fours à pain au Québec, Musée national de l’Homme, 1976, 127 p.
SÉGUIN, Robert-Lionel. La maison en Nouvelle-France, Musée national du Canada, bulletin 22, 1968, 92 p.
SÉGUIN, Robert-Lionel. La civilisation traditionnelle de l’habitant aux XVIIe et XVIIIe siècles, Fides, 1967, 703 p.


Article tiré de La Lucarne – Été 2022 (Vol XLIIII, numéro 3).

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