Un travailleur infatigable...

23 février 2022

Louis-Georges L’Écuyer

Ma maison travaille plus que moi… Urbain Desbois

Ce petit bout de phrase d’une chanson d’Urbain Desbois ne s’applique évidemment pas aux propriétaires de maisons anciennes qui, eux, travaillent d’arrache-pied sur leur chef-d’oeuvre !

Pourtant le bois « travaille », c’est bien connu, il bouge et se déforme. Le changement s’opère lentement, il va, il vient, d’une manière difficilement perceptible à l’oeil. Mais quand, depuis des jours, il rétrécit peu à peu, ça finit par paraître ; les espaces entre les planches du parquet de bois franc s’entrouvrent, la porte frotte, le plancher gondole, les effets finissent par se faire sentir.

L’arbre est un être vivant composé de milliards de cellules remplies d’eau. Lorsqu’on le débite en planches et qu’on le met à sécher, toute cette eau s’évapore dans l’air ambiant et les parois cellulaires commencent à rétrécir : la planche se déforme, s’étroitise et s’amincit. Le bois rétrécit en largeur et en épaisseur ; la longueur, elle, reste pratiquement inchangée. Quand le bois est bien séché, on peut le travailler, en faire des tables, des planchers, des armoires, des murs et des maisons. Par contre, lorsque l’ébéniste et le menuisier achèvent leur travail, le bois, lui, ne l’a pas terminé…

Regardons de plus près ce qui se passe

On voit, sur la première photo, la coupe transversale d’un frêne avec ses anneaux de croissance trahissant son âge. Les deux rectangles rouges indiquent les deux principaux types de planches qu’on peut obtenir lorsqu’on débite un billot.

Le rectangle vertical fait apparaître une coupe tangentielle typique, celle que l’on retrouve le plus fréquemment (1). Les planches ainsi taillées rétrécissent sensiblement au séchage, elles peuvent même y perdre une partie appréciable de leur largeur. Une planche de 12 po (30 cm) de largeur à la sortie du moulin à scie peut donc, après séchage, ne plus mesurer que 11,5 po (28,8 cm) dans le cas du cèdre, par exemple ou pire, 10,5 po (26,4 cm) dans celui du hêtre. Ce type de planche présente aussi une tendance plus ou moins prononcée à s’arrondir en séchant comme on le verra ci-après. On reconnaît facilement cette coupe tangentielle par le dessin caractéristique du grain de bois de sa surface (2).

Le rectangle horizontal nous révèle une coupe de type radial. Cette coupe, plus difficile à obtenir, occasionne beaucoup de pertes lors du débitage d’un billot. Les planches obtenues ne peuvent pas être aussi larges que celles en coupe tangentielle puisqu’elles ne sont prélevées que dans la moitié du diamètre du billot, en excluant le coeur. On ne les retrouve donc que rarement ; mais ce sont les planches les plus stables. Elles ne font pas le dos rond et ne rétrécissent que de la moitié environ du mouvement de la planche tangentielle. Quant au dessin de leur grain de bois, il faudra l’oublier car il est généralement plutôt banal, tel qu’illustré sur la planche de sapin Douglas (3). Toutefois, chez certains bois, il devient, disons-le, spectaculaire. Ce sont les bois dont certaines fibres orientées du coeur vers l’écorce sont particulièrement volumineuses et apparentes. La coupe radiale fait paraître ces fibres qui donnent au dessin du bois un charme très particulier, tel que visible sur la planche de chêne (4). Les ébénistes des siècles passés utilisaient souvent cette coupe de chêne pour des meubles un peu plus luxueux et décoratifs.

BOIS ET AIR SONT HYDROPHILES, ILS AIMENT L’EAU À LA FOLIE.

Ces deux-là sont en symbiose totale ! À la première occasion venue, lorsqu’à l’été l’air ambiant se charge d’humidité, le bois en profite pour absorber le plus d’eau possible… et il gonfle ! Il a beau être peint ou verni, ça ne fera que retarder le processus. À l’hiver, lorsque l’air devient plus sec, le bois lui redonne l’humidité qu’il avait acquise et se met à rétrécir. Ce mouvement de va-et-vient est constant et tend à atteindre un état d’équilibre entre le degré d’humidité du bois et celui de l’air, équilibre toujours instable, il va sans dire.5. Déformation du bois au séchage. A —Bûche à environ 35 % d’humidité. B —Planchettes découpées. C — Après séchage jusqu’à 7 % d’humidité.

L’illustration (5) montre bien la déformation que peut prendre le bois lorsqu’il perd de son humidité. Ces planchettes ont été découpées à partir d’une bûche d’érable argenté sauvée de la corde de bois de poêle. L’hygromètre, ce génial appareil qui indique le degré d’humidité d’à peu près tout, montre en A que notre bûche contient environ 35 % d’humidité, ce qui n’est pas très sec pour du bois de chauffage et encore moins pour la fabrication de meubles. On voit en B que des planchettes viennent d’être découpées dans une tranche de la bûche et sont encore bien droites. En C, après séchage jusqu’à environ 7 % d’humidité, même l’amateur le moins expérimenté peut constater à quel point nos planchettes ont souffert. On remarquera que la moins déformée est celle du centre qui est restée relativement droite ; on se souvient qu’il s’agit là de la coupe radiale et des planches les plus stables, si on enlève le coeur.

Les planchettes suivantes ont toutes subi des déformations importantes, accentuées dans leur partie centrale conséquemment à une coupe tangentielle ; c’est le bois le moins stable. Quant aux deux croûtes extérieures, la présence de l’écorce les a empêchées de suivre la tendance générale. On remarquera aussi que la courbe que prend la planchette en séchant est toujours en direction opposée à la courbe des anneaux de croissance.

Fiers de ces enseignements, on peut maintenant mieux comprendre nombre d’agissements suspects de nos maisons de bois et de leur contenu. Planches des plafonds, des murs et des planchers qui rétrécissent, cadrages qui s’entrouvrent, planchers qui craquent, panneaux de portes et dessus de tables qui se fendillent, tiroirs et portes qui coincent… et j’en oublie beaucoup !Cadrage qui s’entrouvre.Panneau de porte qui craque.

1. Coupe transversale d’un frêne avec ses anneaux de croissance trahissant son âge.

2. Grain de bois de frêne en coupe tangentielle.

3. Grain de sapin Douglas en coupe radiale.

4. Grain de chêne en coupe radiale.

Plancher qui gondole.


Article tiré de La Lucarne – Printemps 2022 (Vol XLIII, numéro 2).

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