Ma pierre angulaire

23 février 2022

Jean-Robert Grenier

Retrouvez l’article précédent de ce récit.

Petite corniche, de Verchères, fin du XVIIIe siècle (planche 562).Buffet deux corps début du XIXe siècle (planche 124).Aujourd’hui, du dernier étage de ma pierre angulaire, je contemple la lueur des premiers rayons du soleil se faufilant entre les lames de neige du grand froid glacial de ce 26 janvier 2022. La beauté de l’hiver m’inspire ; j’entreprends l’écriture de mon 10e article avec l’idée bien arrêtée de comprendre l’origine et la signification de l’utilisation des motifs de pointes de flèches que mon ami l’artisan Yvon Goyette a parsemés, çà et là, sur le mobilier intégré de notre vieille maison. Pourquoi des ceintures fléchées ? Que signifient-elles ? D’où viennent-elles ? Selon ma recherche sur Internet, l’Encyclopédie canadienne m’apporte un éclairage historique sous le titre : « Ceinture fléchée ».

Traditionnellement confectionnées en laine et tissées aux doigts suivant un motif complexe de zigzags colorés, ces ceintures sont indifféremment appelées ceintures fléchées, ceintures indiennes, ceintures métisses ou ceintures de voyageur.

La grande bibliothèque à deux corps de la salle commune.L’extrait nous rappelle l’importance historique et géopolitique que Samuel de Champlain et nos coureurs des bois ont eue sur le développement de l’Amérique du Nord grâce aux alliances qu’ils ont tissées avec les peuples autochtones. Cet article signé par Maxime Dagenais et Severine 

Détails du motif de flèches amérindiennes et des rosettes sculptées.

Craig nous apprend que les autochtones portaient également la ceinture fléchée lors de leurs échanges commerciaux avec les « Canayens ». Le port de la ceinture fléchée symbolisait l’égalité entre les partenaires lors d’échanges commerciaux. Ce symbole nous ramène à notre histoire récente lorsqu’en 1965, Daniel Johnson, alors chef de l’opposition à l’Assemblée nationale sous la bannière de l’Union nationale, lança son cri du coeur « Égalité ou indépendance ». Curieux non ! Toujours selon cet article, cette pratique remonterait au moins aux années 1770, soit après la Conquête. Plus tard, elle deviendra le symbole des Patriotes de 1837 et de la résistance des Métis de l’Ouest canadien de 1869 à 1870, incarnée par Louis Riel dont la statue érigée à Winnipeg le représente portant une ceinture fléchée. Cet artéfact est profondément ancré dans la mémoire collective des « Canayens » qui recherchaient jadis le respect et l’égalité dans les échanges entre les peuples. Sur le plan ethnologique, la ceinture fléchée nous rapproche beaucoup plus qu’elle ne nous divise ; elle est le symbole des alliances entre les peuples et non un symbole guerrier.

Voilà peut-être pourquoi on retrouve son empreinte dans nos maisons et sur notre mobilier ancien. En consultant le livre de Jean Palardy, LES MEUBLES ANCIENS DU CANADA FRANÇAIS, à la planche 124, sous la rubrique « Buffet deux corps, début XIXe siècle », on lit :

Les montants et les dormants sont décorés de stries parallèles en forme de chevrons, inspirées de pointes de flèches amérindiennes.

Cette description nous aide à mieux comprendre la présence de ces décorations dans plusieurs vieilles maisons des seigneuries de Verchères et de Varennes. Lors de la restauration des maisons patrimoniales, ces souvenirs du passé ne doivent pas disparaître ; ce sont les témoins irremplaçables de notre histoire et de notre culture québécoise.

Du bas-côté, rejoignons la salle commune. Nous y trouvons une grande bibliothèque, d’une seule pièce, dont le haut comprend trois sections à tablettes amovibles. Le bas, fermé par trois portes à gonds, loge les souvenirs de famille et conserve le vin au frais. Les motifs de flèches amérindiennes incrustés dans les montants et les dormants s’apparentent à ceux que l’on retrouve dans la seigneurie de Verchères. Les motifs de rosettes sculptés et surmontés de canaux sont également très communs sur notre territoire. La corniche reprend le modèle de doucine de la maison. De plus, on mentionne à la planche 562 du livre cité ci-haut : « Petite corniche, de Verchères, fin XVIIIe siècle ».

L’armoire de la discothèque, fermée à clé par deux portes à panneaux soulevés, est suffisamment grande pour recevoir une collection de disques vinyle et compacts. Les motifs de pointes de flèches se rejoignent au centre du dormant pour former un coeur en hommage à la musique.

Le manteau de cheminée, à panneaux embrevés, dont la « porte d’été » est appuyée contre la cloison derrière la chaise d’habitant, présente des motifs de pointes de flèches semblables à ceux du buffet à deux corps à la planche 124 du livre de Jean Palardy. Sous la corniche du manteau, nous retrouvons également des rosettes sculptées ; est aussi visible, le travail de la corniche avec son cordon torsadé et ses cannelures ouvragées.

En terminant, j’aimerais remercier mes deux amis artisans pour l’immense travail qu’ils ont abattu afin de faire revivre notre culture patrimoniale si malmenée : Yvon Goyette et feu son frère Normand. Ces artisans sont de véritables poètes de la matière.


Article tiré de La Lucarne – Printemps 2022 (Vol XLIII, numéro 2).

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