Dans les années 1980, alors que je fréquentais une école secondaire au nord de Montréal, je m’intéressais à une consoeur plus jeune. Elle était intelligente, calme, mignonne et disait être d’origine écossaise. À cette époque, étudiant, je travaillais l’été au Musée militaire et maritime de Montréal, sur l’île Sainte-Hélène, alors le Musée Stewart. J’y personnifiais, dans le fort, un membre du 78e régiment d’infanterie des Fraser Highlanders ; nous présentions des spectacles quotidiens pour les nombreux touristes. Par la suite, elle et moi, avons, emprunté des routes différentes et perdu contact.
En 2015, nous nous sommes retrouvés grâce à Internet ; j’ai choisi de quitter ma vie d’alors pour en construire une, toute nouvelle, avec Kathleen McKen. Je suis redevenu bénévole auprès des Fraser Highlanders et j’ai entrepris des recherches. Kathleen m’avait confié qu’un de ses ancêtres, Donald McKinnon, était dans « la marine et qu’il était arrivé en Amérique du Nord avec le général Wolfe ». Après l’examen de certains documents portant sur l’histoire familiale, j’ai décidé de poursuivre la recherche généalogique car je n’étais pas convaincu que cet ancêtre faisait partie de la marine ; je soupçonnais même qu’il était plutôt membre des Fraser Highlanders qui s’étaient établis à Québec après la Conquête.
À la longue, j’ai découvert des documents qui attestaient que son ancêtre était bien un « Fraser ». Le problème, c’est que j’ai aussi trouvé trois Donald McKinnon en service dans ce régiment ! Un seul pouvait être son ancêtre. Les archives officielles étaient déconcertantes ; l’un d’eux aurait eu deux femmes et vécu dans des endroits différents en même temps. L’histoire locale ne l’a pas non plus dépeint sous son meilleur jour en ce qui a trait à ses transactions, à la gestion de ses biens et à ses échanges avec les Premières Nations.
En mai 2017, nous sommes allés explorer les archives à Matane, le dernier endroit où ce Donald McKinnon aurait vécu ; déception, aucune mention de lui dans les archives. Sur le chemin du retour, à notre grand étonnement, Kathleen repéra, à Montmagny, une maison à vendre datant de 1767 ; elle avait appartenu à un certain Donald McKinnon. Mais lequel des trois Donald ? Désireux tout de même de découvrir cette maison, Kathleen prit rendez-vous pour le lendemain. Nous avons visité la maison le 22 mai 2017 et Kathleen a soumis une offre d’achat le 26 mai. Plus tard, des documents ont révélé que Donald McKinnon avait acheté la propriété le 24 mai 1767 et était décédé à Matane le 26 mai 1792.
La maison semblait être en bon état. Le propriétaire, qui nous a raconté son histoire, a déclaré qu’elle avait été construite par un soldat écossais en 1767. Elle aurait ensuite servi d’auberge et de magasin général pendant de nombreuses années. Une maison écossaise de 1767 en plein Canada français est une découverte extrêmement rare. Kathleen est une Canadienne française de naissance avec un patronyme écossais et moi, je suis le seul anglophone de la ville ! Je suis sûr que certaines personnes ont pensé que nous étions fous et je ne serais pas étonné qu’elles le pensent toujours. Nous avons emménagé dans la maison le 10 août 2017.
La maison est « bifamiliale », ce qui signifie qu’elle a été divisée en deux parties dont l’une était en location. La maison est grande : elle compte six chambres à l’étage, deux cuisines, cinq salles de bains, deux salles à manger, deux salons, un sous-sol complet et d’autres petites pièces. Il y a de nombreuses fenêtres et lucarnes de même que deux grands escaliers.
Un jour de pluie, Kathleen, en train de lire dans une chaise longue, entendit « toc, toc, toc ». Elle regarda par-dessus son épaule et découvrit que de l’eau coulait du haut d’une fenêtre vers son rebord. C’était un autre mauvais présage. Nous savions déjà, après avoir enlevé de vieux tapis et découvert l’état lamentable des planchers que nous aurions à reprendre tout ce qui avait été mal réparé dans la maison au fil des ans. J’ai donc résolu de traiter la maison comme un site archéologique ; j’ai documenté chaque étape des travaux tout en conservant des échantillons de papier peint et de peinture afin de restaurer la maison en respectant chaque époque depuis le XVIIIe siècle.
Côté est, la maison est construite en pièce sur pièce, à partir de rondins taillés au carré. Dans ce cas, les bûches sont équarries jusqu’à 3 à 4 pouces de largeur sur 8 pouces de hauteur avec des encoches taillées de sorte qu’elles s’emboîtent comme des pièces de Lego. Dans la partie ouest du bâtiment, le mur s’appuie sur une base de maçonnerie et, à l’étage, les planches de 30 pieds, d’égale dimension, sont soutenues par les murs à chaque extrémité ; c’est à la fois le plafond de l’étage principal et le plancher du deuxième palier. Il n’y a pas de mur de soutien au milieu ; les poutres sont fixées les unes aux autres par de grosses chevilles.
Le plafond de l’étage est soutenu par de grandes poutres appuyées au sommet du mur extérieur et la charpente du toit à deux versants à forte pente repose sur ce mur. Les murs extérieurs ne sont pas strictement verticaux, mais comportent une légère pente vers l’intérieur de sorte que les fenêtres accusent un écart de 3 pouces du haut vers le bas sur une hauteur de 6 pieds. Les maisons du Régime français étaient construites de cette façon, pour plus de solidité, comme une pyramide. L’intérieur de ces murs est également marqué de petits trous et d’une poudre blanche indiquant que de petits morceaux de bois ont été insérés dans les trous pour soutenir le crépi, un mélange de plâtre qui recouvrait l’intérieur du mur.
Des clous forgés Rose head sont visibles et signalent la présence ancienne d’un « rail de plaque » ou d’un « rail de chaise » : une moulure horizontale en bois qui était clouée au mur pour protéger le crépi des dommages causés par l’appui des chaises. De l’étoupe, fabriquée à partir d’herbages et de tiges de plantes charnues, a été compressée pour remplir les interstices entre certaines poutres. Il n’y avait pas d’isolation thermique dans la maison d’origine ; le seul isolant, installé plus tard, a été l’ajout de couches de papier goudronné sous les planches de bois embouvetées, clouées au mur ; du papier peint recouvrait le tout. En hiver, le seul réconfort provenait de la chaleur dégagée par les poêles et par les nombreuses cheminées.
Le grenier de l’aile ouest est de style « anglais » ; on y distingue l’intérieur du toit d’origine avec des bardeaux de cèdre et des clous forgés. C’est la partie la plus récente de la maison. Ce grenier est rempli de deux pieds d’isolant en vrac, un vrai cauchemar pour le photographe. Le grenier de l’aile est s’appuie sur la cheminée centrale en pierre. Les poutres à l’est sont en forme de croix de Saint-André ; cette forme géométrique consolide la structure.
Une grande partie de l’histoire de « La maison McKinnon » demeure un mystère. Ewen et Kathleen se consacrent à la préservation, à la conservation et à la restauration de la résidence afin qu’elle puisse durer encore quelques centaines d’années et rester fonctionnelle. Un dossier à suivre par l’APMAQ puisqu’ils ont tellement à partager sur leur passion !
NDLR : Cet article est tiré d’un texte original de M. Ewen Booth que nous avons adapté en français.
Article tiré de La Lucarne – Printemps 2022 (Vol XLIII, numéro 2).
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