Dave Bélanger
C’est en 2019 que nous avons fait l’acquisition d’une maison ancestrale à Cap-Santé. Au moment de l’achat, la fiche de vente précisait que la construction datait de 1860. Nous avions quelques doutes étant donné la présence d’un âtre central massif et d’une toiture à panne. Pour nous aider à y voir plus clair, nous avons fait appel à un architecte spécialisé en maisons ancestrales qui a mené une expertise au cours de janvier 2020. Ce dernier a relevé plusieurs indices qui permettaient de situer la date de construction entre 1790 et 1810. En plus de la toiture à panne et de la volumétrie de la maison, on pouvait relever la présence de pierres ciselées dans la construction de l’âtre, une technique française guère utilisée après 1810. On pouvait aussi noter la présence de pièces de charpenterie au grenier, ce qui alimente l’hypothèse d’une construction au tournant du XIXe siècle. Forts de ces informations, nous nous sommes investis dans la constitution de la chaîne de titres afin de connaître l’année exacte de la construction de la maison et l’identité du constructeur.
La chaîne de titres constituée allait dans le sens de l’expertise menée par l’architecte consulté. La maison a été la propriété de la famille Fafard tout au long du XIXe siècle. La consultation des actes notariés montre que Joseph Fafard achète la terre en juillet 1800. L’acte précise que le vendeur, François Gignac, se réserve l’usage des bâtiments et de la maison jusqu’au mois de mai suivant (1801). Comme les actes notariés ne précisent pas toujours la présence de bâtiments sur les terres vendues, cette information était précieuse ; elle suggérait que notre maison datait au moins de 1800 ! Nous avons tenté de remonter plus loin afin de découvrir si François Gignac était le constructeur de la maison ou si la construction de cette dernière remontait à plus loin. Malheureusement, les actes qui précèdent cette transaction sont beaucoup moins clairs et il s’avère très difficile de déterminer s’il y a une maison incluse dans les ventes qui précèdent 1800. Nous avons donc décidé de faire mener une expertise en dendrochronologie afin d’y voir plus clair.
À partir du prélèvement d’un échantillon dans les poutres de bois, la dendrochronologie permet de déterminer la période de croissance des arbres. Cette science prend appui sur la différence de taille des cernes de croissance : lors des saisons favorables, la croissance est accrue et donc les cernes sont plus gros et vice versa. Si l’écorce est toujours présente, ce qui était le cas de toutes les poutres de cèdre du vide sanitaire, il est même possible d’établir le moment où l’arbre a été abattu, et ce, à la saison près. Des experts du Centre d’études nordiques de l’Université Laval sont donc venus prélever des échantillons sur huit poutres du sous-sol à l’été 2021. L’analyse statistique indique que les résultats ont un degré de fiabilité de 99,995 %.
Quelle ne fut pas notre surprise de lire la conclusion du rapport ! Parmi les huit poutres sur lesquelles des prélèvements ont été faits, les quatre du nord-est proviennent d’arbres coupés pendant l’hiver 1829-1830 — leur croissance s’est étalée de 1635 à 1829. Deux autres poutres (nos 5 et 7) proviennent d’arbres abattus en hiver 1809-1810 et une poutre (no 8) provient d’un arbre scié au cours de l’hiver 1774-1775. Une poutre (no 6) n’a pu être datée avec certitude. Ces résultats ajoutent un éclairage que les actes n’apportaient pas et, du coup, soulèvent de nombreuses questions. Qu’est-il advenu de la maison présente sur la terre en 1800 ? A-t-elle été agrandie (les quatre poutres de 1829-1830 sont contiguës au nord-est alors que les plus anciennes sont contiguës au sud-ouest) ? Démolie ? Incendiée ? Certains de ses matériaux ont-ils été récupérés pour construire la maison qu’on habite à présent ?
La chaîne de titres est un outil précieux pour documenter l’histoire d’une maison. Notre expérience montre toutefois qu’il faut demeurer prudent. D’abord, parce que, comme l’indiquait monsieur Pelletier lors d’un atelier sur le sujet organisé par l’APMAQ à l’été 2021, la chaîne retrace l’histoire des transactions d’un terrain ou d’un lot, pas d’un bâtiment ni d’une maison. Ensuite, parce que, même si un acte notarié mentionne la présence d’une maison, rien ne prouve que cette dernière est celle qui est toujours présente de nos jours. Enfin, parce que, même si de sérieux indices suggèrent une date de construction, le recyclage de matériaux ou le recours aux techniques antérieures de construction ne peuvent être écartés de manière automatique.
Pour nous, la dendrochronologie a constitué le seul moyen de percer le mystère entourant la date de construction de notre maison. Considérant qu’il s’agit d’un service tout de même abordable (environ 500 $), ne vaut-il pas la peine de consulter les témoins les plus fiables de la construction d’une maison : les poutres elles-mêmes ?
Pour en savoir davantage sur la dendrochronologie :
https://youtu.be/SrTgVTs6tPc
Article tiré de La Lucarne – Hiver 2021-2022 (Vol XLIII, numéro 1).
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