Les 20 et 21 avril derniers marquaient le triste deuxième anniversaire de la plus grosse inondation jamais vécue au Moulin Cliche depuis celle du 31 juillet 1917. Beauceron dans l’âme, ébéniste-artisan, historien et fier protecteur du patrimoine bâti sont toutes des expressions qui définissent le « Jarret noir » qui prend la plume, pour une toute dernière fois, avant que son entreprise ancestrale de quatre générations, son Moulin Cliche, finalement ne rende les armes.
En mai 2006, pour continuer l’oeuvre de ses prédécesseurs, son père Paul- Henri, son grand-père Alphonse et son arrière-grand-père Augustin, le fondateur de la scierie-menuiserie et manufacture de portes et châssis en 1903 dans la paroisse de l’Enfant-Jésus (Vallée-Jonction), François Cliche avait repris les activités, tout en conservant la même machinerie commandée jadis par son grand-père en 1934 (pour la scierie et la menuiserie) ainsi que par son aïeul Augustin en 1917 (pour l’atelier de planage), à la suite des deux grands incendies qui avaient ravagé de fond en comble les installations.
En 1917, le premier moulin d’Augustin à Louis à Catoche avait alors vu l’eau atteindre le second étage ainsi que le plafond de la cuisine dans la maison voisine, celle de son fils Alphonse. « Le tea pot était parti, flottant depuis la tête du poêle à bois et resté en balancine sur le dessus d’une porte entr’ouverte dans la maison… », me racontait mon historien de père, Paul- Henri. Il y eut ensuite, et j’en passe de peur d’en oublier, plusieurs dizaines de débordements : 1922, mars 1936, 1947, décembre 1957, étés 1974 et 1976, le dimanche de Pâques d’avril 1982, puis 1987, 1991, 1998, 2000, octobre 2006, avril 2014… ouf !... et 2018 en janvier, et deux fois en avril, à trois jours d’intervalle, pour finir en 2019 avec les 20 avril et 1er novembre.
Fondée en 1903 par mon arrière-grand-père Augustin Cliche et ses fils, le Moulin Cliche est en activité depuis plus d’un siècle dans le domaine du bois : boiseries et moulures ancestrales, portes et fenêtres, service de sciage et de planage, meubles sur commande, bois pour finition intérieure et extérieure, clôtures préfabriquées et autres articles en bois sur mesure en sont des exemples…
Le printemps 2014 sera marqué par la seconde crue historique d’importance à Vallée-Jonction et dans l’histoire familiale. La solution, pour sauver l’entreprise ancestrale plus que centenaire, sera de rehausser de cinq pieds le bâtiment principal, soit la menuiserie et l’atelier de planage, comme le relate cet extrait d’un précédent article :
« Dégâts, désolation, découragement… laissant présager un avenir rendu incertain pour cette entreprise ancestrale de quatre générations. Tous les travaux préventifs d’immunisation ont été entrepris en vain car tout a été quand même submergé. Les idées se succèdent alors : fermer après plus de 110 ans d’histoire, ou « prendre son courage à deux mains », tel un vrai « Jarret noir », et repartir à nouveau en faisant surélever le bâtiment principal pour le mettre enfin au sec. La meilleure option est analysée et lever le bâtiment s’avère être la solution la plus avantageuse, mais non la moins compliquée… ».
Puis la crue centenaire d’avril 2019 viendra tout anéantir, cette fois, pour de bon ! « Le plus difficile qu’il me fut obligé de vivre depuis le dernier demi-siècle, plus rien ne semble récupérable, comme si cette dernière vague venait d’éteindre mon feu sacré ! ». Sans précédent depuis le 31 juillet 1917, alors que le niveau de la célèbre rivière Chaudière atteignait 30 pieds au-dessus de sa hauteur habituelle, avril 2019 demeurera longtemps dans les pires souvenirs des Beaucerons riverains ; environ un millier de bâtiments seront inondés.
Entre un hiver qui n’en finit plus et un printemps qui tarde, une seule journée suffit pour changer de saison, avec de fortes pluies et une grande quantité de neige toujours présente sur des terres gelées. Tout commence, comme de plus en plus souvent, avec les sirènes qui retentissent dans tout Beauceville, annonçant une catastrophe imminente car les glaces viennent de former un embâcle au Rocher, en aval de la ville.
Une lecture sur internet du niveau de l’eau dans le secteur de la Scierie-menuiserie Alphonse-Cliche, à 6 heures du matin, avertit que le moment est venu de se préparer au pire ; entrepôts, cours à bois et à billots, scierie et chaufferie seront visités et protégés, comme d’habitude, par le vissage des portes, la surélévation de l’inventaire et l’installation d’estacades flottantes avec la chaloupe fabriquée au Moulin Cliche. Au fur et à mesure de l’avancement de la journée, bon nombre de personnes viendront prêter main-forte presque jusqu’à 23 heures, mais en vain, car le niveau de l’eau dépassera de près de deux pieds le niveau exceptionnel de la crue historique de 2014. Les précédentes statistiques seront à jeter aux poubelles ou « à tirer à la rivière » car toute la vallée de la Chaudière et plusieurs autres régions du Québec, y goûteront, et « pas à peu près ! ».
Au Moulin Cliche, la scierie recevra pas moins de cinq pieds d’eau sur son plancher principal ; la chaufferie et les trois entrepôts seront engloutis sous sept pieds d’eau alors que près de neuf pieds noieront la cour arrière. Les 75 % de l’inventaire des billots seront emportés au fleuve Saint-Laurent par la force du courant. « Les débris, la quantité de vase laissée et l’ouvrage surhumain qu’il faudra pour repartir de zéro encore une fois, dépassent largement le courage qu’il faudrait pour se relever ». La résignation s’impose.
Six mois après l’événement historique, le retard accumulé dans la livraison des commandes du service de menuiserie n’est toujours pas rattrapé mais la clientèle est plus que compréhensive. En plus, le bilan officieux des dommages aux bâtiments tel qu’établi par des évaluateurs mandatés par la Sécurité publique laisse entrevoir de lourds dégâts. On présume déjà de la perte totale de deux des trois entrepôts de bois sec, la scierie et la chaufferie seront aussi probablement condamnées. On doit envisager des travaux imposants recommandés pour la partie principale de l’usine, menuiserie et planage, et un rehaussement de cinq pieds à l’été 2015 « pour se sortir de l’eau » car l’eau s’y est quand même infiltrée. De plus, l’inventaire et la machinerie ont subi des dégâts importants.
Selon le décret gouvernemental et les réglementations municipale et régionale, l’entreprise pourrait au moins être admissible au programme d’aide aux sinistrés quoique, si les dégâts en zone inondable dépassent de 50 % la valeur de reconstruction, seul un permis de démolition peut être émis pour la suite « illogique » de l’aventure. L’histoire du Moulin Cliche à son emplacement d’origine depuis 1903 se terminera donc ainsi, avec une rage au coeur jumelée à une profonde tristesse. C’est la Chaudière qui aura eu finalement le dernier mot !
Dans un délai recommandé, les opérations, rue du Moulin devraient cesser prochainement pour en finir avec la démolition complète des installations ancestrales. Le paysage de Vallée-Jonction changera à jamais avec la disparition de sa plus vieille entreprise encore en opération de même que cinquante autres résidences et commerces. Avec une passion renouvelée, l’heure est maintenant venue de nous relocaliser. Depuis l’automne 2019, plusieurs démarches ont été entreprises auprès d’immeubles existants dans les limites de Vallée-Jonction ; la chose n’est pas si simple. Bon nombre de ces installations feraient très bien l’affaire ; malheureusement la majorité d’entre elles ont été construites dans des zones qui sont nouvellement à risque.
Le Moulin Cliche comme on l’a tous toujours connu ne deviendra qu’un doux souvenir, cependant, il y aura toutefois poursuite des opérations de menuiserie et d’ébénisterie dans une nouvelle usine acquise en décembre dernier. Bien que les opérations de sciage soient choses du passé, une relocalisation est en préparation, cette fois en zone non inondable, afin de poursuivre ce beau métier d’artisan du bois à une nouvelle adresse (458 rue Principale… tout en haut, bien sûr !). Une page importante de l’histoire du Moulin Cliche sera alors tournée.
En souvenir du Moulin Cliche : www.vimeo.com/64348874
Article tiré de La Lucarne – Été 2021 (Vol XLII, numéro 3).
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