En ce centième anniversaire de la naissance de Robert-Lionel Séguin, La Lucarne a invité un des lauréats du prix éponyme à s’exprimer sur ses motivations et son action en matière de sauvegarde du patrimoine bâti.
C’est en 1982 que Georges Coulombe, Saguenéen d’origine, fonde sa société immobilière avec pour mission principale la sauvegarde du patrimoine bâti. Au fil des années, il fait l’acquisition d’anciens magasins, entrepôts, industries et édifices bancaires désaffectés afin de leur offrir une nouvelle vie respectueuse de leur cachet historique. Aujourd’hui, après plus de quarante ans de pratique dans la revitalisation et la restauration d’édifices patrimoniaux, M. Coulombe possède un carnet d’interventions riches et variées allant de l’arrondissement montréalais Mercier–Hochelaga-Maisonneuve à ceux de Ville-Marie, du Sud-Ouest et de La Petite-Patrie en passant par Saint-Jean-sur-Richelieu (Montérégie) ou encore Sainte-Agathe-des-Monts (Laurentides) où il a récemment rénové l’ancien Manoir StoneHaven (1908), un édifice historique au cœur d’un site majestueux devenu aujourd’hui un hôtel.
Voici un aperçu de son parcours en tant que promoteur immobilier reconnu pour sa contribution exemplaire à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti du Québec.
Du graphisme à l’immobilier : une immersion dans les années 1970
Autodidacte passionné, c’est d’abord sa curiosité, son amour pour l’art et l’histoire et son esprit entrepreneurial qui l’amènent à œuvrer au cœur du quartier historique de Montréal. Après 12 ans passés à gravir les échelons au sein du département de graphisme de l’Alcan, il décide de fonder sa propre entreprise en communication en 1976. Pour ce faire, il mène, sans le savoir, sa première action en tant que promoteur immobilier sensible au patrimoine bâti.
En effet, de retour d’un voyage en Europe où il parcourt de magnifiques centres historiques rénovés avec soin et bourdonnants de vie, la vision terne et désertique des rues délabrées du Vieux-Montréal le confronte. Pourtant décrété arrondissement historique en 1964, le quartier sans âme fait pâle figure dans les années 1980 face à ses contemporains. Faisant preuve d’audace et de vision, Georges Coulombe décide alors d’investir dans une bâtisse historique désaffectée du quartier, sise au 296 rue Saint-Paul ouest, afin d’y loger les bureaux de sa nouvelle compagnie en graphisme. Progressivement, il rénove cet ancien entrepôt-magasin (1904), prenant goût à en relever les défis de restauration et de réhabilitation. Il demeure toujours propriétaire de cet édifice.
De ce premier geste naît une vocation qui l’amène six ans plus tard à fonder sa société immobilière avec la conviction que les édifices historiques peuvent revitaliser des secteurs entiers de nos villes : ces beaux immeubles d’autrefois, une fois restaurés, sont en effet dotés d’une valeur économique précieuse loin de la spéculation et de la vacance. Avec l’apparition de nouveaux enjeux dans le domaine du patrimoine et de la revitalisation urbaine, sa vocation sera mise à l’épreuve au fil des projets mais demeurera toujours aussi vive comme le témoignent les nombreux édifices à son actif, restaurés et pleinement occupés, dans le quartier historique de Montréal.
Relever de nouveaux défis, à l’aube de 2020
Comme le souligne M. Coulombe, « À mes débuts, les édifices étaient plus abordables et l’investissement dans leur restauration était rentable. Aujourd’hui les réalités ont changé, il faut penser à long terme. Désormais, je rénove pour la deuxième ou la troisième génération qui nous suivra. » Une réalité bien différente donc de ses premières années. Aux coûts importants des projets de restauration et de réhabilitation s’ajoutent le désengagement des instances et le manque de confiance des institutions bancaires qu’il faut constamment convaincre lorsqu’il s’agit d’intervenir en patrimoine.
En témoigne l’un de ses récents projets qui ouvrira sous peu ses portes après quatre longues années d’études, conception, négociations et travaux : l’Édifice du Rodier (1875). Marquant de manière surprenante l’entrée de Griffintown, cet édifice a été racheté à la ville de Montréal par Georges Coulombe afin de le sauver de la démolition. Un geste à l’époque salué. Toutefois, c’était sans compter les difficultés et les incohérences dues à l’administration municipale lesquelles rythmeront le projet et nuiront à la bonne réalisation des travaux, augmentant les coûts et prolongeant l’échéancier.
« Il faudrait innover dans la pratique et développer des incitatifs fiscaux afin d’encourager la restauration des édifices. Aujourd’hui, cela nécessite tellement d’engagements financiers et humains d’intervenir sur des bâtiments historiques, qu’il faut un amour à toute épreuve pour démarrer de tels projets. Il faut donc faire preuve de patience, de conviction et d’audace ». Heureusement, Georges Coulombe possédait déjà, à 15 ans, toutes ces qualités doublées d’une grande curiosité lorsqu’il rénovait des meubles anciens à ses heures perdues. Par la suite, parallèlement à ses activités professionnelles, il sera tantôt marchand de tableaux, antiquaire, propriétaire d’une boîte à chanson, éditeur et restaurateur.
Une vision novatrice du patrimoine
Au fil des ans, sa vision du patrimoine et l’intérêt qu’il lui porte ont peu changé. Un édifice historique doit être imbibé d’histoire, bien sûr, et présenter des qualités architecturales reconnues. Mais, pour lui, il est fondamental que l’édifice soit doté d’un potentiel évolutif. « Pour chaque projet, j’ai toujours souhaité respecter le geste de l’architecte d’origine et lui assurer un avenir dans notre société par des usages compatibles et des interventions sensibles. Bien sûr, les processus de mise aux normes et de mise à niveau (électricité, gicleurs, etc.) imposent des compromis notamment dans les espaces intérieurs. Toutefois ces changements nécessaires peuvent être effectués avec sensibilité et cohérence. La réhabilitation ne doit pas faire obstacle à la conservation. Elle offre, au contraire, de nouvelles perspectives ».
En témoigne son projet sis au 288 rue Saint-Jacques, ancien siège social de la Banque Molson (1864-66). La réhabilitation de cet édifice historique a été réalisée dans le respect de ses valeurs patrimoniales et les espaces intérieurs devenus bureaux ont fait l’objet d’un processus de mise à niveau bien pensé incluant la restauration des finis d’origine et l’implantation de nouveaux aménagements complètement réversibles.
Par ailleurs, l’implantation d’un usage compatible est primordiale, selon Georges Coulombe, assurant la qualité et la viabilité du projet. Ainsi, il n’a pas hésité à attendre plus de trois ans avant de trouver preneur pour le rez-de-chaussée du 360 rue Saint-Jacques, ancien siège social de la Banque Royale du Canada (1928). Accueillant aujourd’hui un café et des espaces de travail partagés, cet ancien hall bancaire a conservé l’entièreté de sa magnificence. L’implantation de ce nouvel usage, compatible et pensé dans le respect des éléments caractéristiques du lieu (dimensions, finis, agencements, détails architecturaux, fenestration, etc.) offre désormais à cet espace majestueux une pérennité et une expérience unique pour ses usagers.
Finalement, rue Sainte-Catherine, un autre projet témoigne des défis que Georges Coulombe a su relever avec brio, entouré de professionnels et d’experts aguerris : le pavillon de l’École Supérieure de mode de l’ESG de l’UQAM installé dans deux anciens bâtiments commerciaux (1913). Acquis en 2014 par Georges Coulombe, les édifices avaient subi de nombreuses modifications au fil du temps avant de demeurer vacants. Les façades en pierre grise ornées d’éléments ouvragés furent entièrement restaurées dans le respect des exigences patrimoniales. De plus, afin de répondre aux besoins des nouveaux usagers, un étage fut ajouté. Pour cette extension qui représentait un réel défi d’architecture, une nouvelle structure d’acier indépendante du tissu historique a été conçue afin de préserver et de mettre en valeur l’architecture d’origine.
Comme le souligne M. Coulombe, « le patrimoine, c’est le travail d’une vie ». Ainsi, aujourd’hui, alors que le projet du Rodier est sur le point d’être finalisé, il planche sur de nouveaux défis dont plusieurs accompagnent la revitalisation de la rue Saint-Denis, une importante artère au cœur du Quartier des spectacles (la Tour France Film, le Cabaret théâtre et le théâtre St-Denis). Un passionné donc toujours pleinement investi !
Article tiré de La Lucarne – Automne 2020 (Vol XLI, numéro 4).
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