Les bâtiments agricoles au Québec – Partie II

1 décembre 2014

De l’agriculture de subsistance à l’agriculture marchande : 19e et début du 20e siècles

Nous sommes à la fin du 18e siècle. L’agriculture et l’architecture agricole sont à la veille de changements importants. Les premières habitations et bâtiments agricoles des 17e et 18e siècles s’inspiraient des constructions médiévales. Pendant presque deux siècles, une architecture de bâtiments à pignons droits, souvent à deux versants, recouverts de planches de bois ou encore de chaume, est courante en Nouvelle-France. Elle accompagne une agriculture de subsistance et d’autarcie.

L’élevage du bétail s’ajoute aux principales cultures qui sont le chanvre (fibres pour cordes résistantes), le lin (vêtements durables), le blé (pain) et l’avoine (nourriture du bétail), aussi l’orge, le seigle et le sarrasin. Le commerce avec les Britanniques permet des ventes de céréales en dehors du Québec, ce qui entraîne une inflation des coûts qui, en l’absence d’utilisation de fumier par les cultivateurs, a pour effet de produire une pénurie. Pour remédier à cette situation la vente de céréales en dehors du Québec est interdite en 1779.

La première association agricole voit le jour en 1789. Celle-ci encourage les fermiers à expérimenter d’autres manières de cultiver et de fertiliser la terre, tout en faisait connaître les nouvelles machineries agricoles. C’est le début de l’agriculture moderne. Ont suivi avant 1850 les premières écoles d’agriculture et un premier journal en français portant sur le sujet.

L’agriculture marchande s’implante graduellement au Québec. Face à la demande des marchés, les cultivateurs augmentent leur production, ajoutant haricots, oignons, tomates, maïs et petits fruits. Les villes se développent et ont besoin de lait. Les fermiers cessent alors de produire du blé et augmentent la culture du foin pour nourrir les vaches. Beurreries et fromageries sont bâties dans chaque paroisse.

L’évolution de l’architecture agricole de la fin du 18e siècle aux premières décennies du 20e siècle

L’espace agricole national ne représente alors que 2 % du territoire québécois. Concentrée en grande partie dans la vallée du Saint-Laurent, la transition vers une agriculture marchande a un impact sur l’architecture des bâtiments. La diversification et l’augmentation de la production exigent des bâtiments plus grands, plus efficaces et moins dispersés.

Grange-étable rectangulaire transformée plus tard en porcherie pour répondre aux spécificités de production pour le marché (19e).À la suite de la mécanisation du travail et de l’augmentation de têtes de bétail, la grange-étable fait son apparition au Québec. Plutôt que d’implanter divers petits bâtiments ayant chacun une fonction spécifique, on construit sur la ferme un seul bâtiment à toit à deux versants, plus haut, permettant l’accueil des animaux au rez-de-chaussée et l’entreposage du grain sous les combles. Au besoin, on peut y loger d’autres bêtes ou y aménager une laiterie ou une porcherie et y ranger la machinerie. Cet aménagement plus pratique et plus économique (photo 1) permet de réduire le nombre de déplacements du cultivateur. Une grange-étable à multiples fonctions, située à Saint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans, est illustrée sur la couverture de ce numéro.

La construction et la forme des bâtiments évoluent au début du 19e siècle grâce aux changements technologiques comme l’arrivée des clous industriels, du bois d’usine et d’autres matériaux industriels (tôle, bardeaux usinés). La grosse charpente traditionnelle, déjà dans « l’ADN » des artisans, perdure un peu là où il n’y a pas de scieries industrielles. Elle est remplacée avant la fin du siècle par une charpente à l’américaine plus économique, à multiples éléments en petit bois, dite « charpente ballon ».

Grange de style à comble brisé de Charlevoix, regroupement dans un seul édifice des bâtiments-blocs (milieu du 20e).Entre le milieu et la fin du 19e siècle, une nouvelle forme de grange/étable à comble brisé, dérivé du toit « à la Mansart », arrive des États-Unis. Il apparaît muni d’une charpente à fermes triangulaires de faible pente qui repose sur une autre forme trapézoïdale aux côtés abrupts. Ce type de bâtiment se répand rapidement (photo 2). Il répond au besoin d’offrir plus d’espace d’entreposage pour les fourrages sous les combles, alors que les animaux vivent au rez-de-chaussée.

La superficie du plan du bâtiment se trouve sensiblement réduite par rapport à une grange-étable longue, minimisant ainsi l’ampleur de la toiture et les coûts de recouvrement.

À partir du milieu du 20e siècle l’architecture des bâtiments agricoles connaît une évolution rapide, mettant en danger la pérennité des bâtiments traditionnels. La partie III de cette série portera sur les défis de conservation et de mise en valeur des bâtiments du patrimoine.

Références :

  • GAUTHIER-LAROUCHE. Georges. Évolution de la maison rurale traditionnelle dans la région de Québec. Les presses de l’Université Laval, 1974. 321p.
  • SÉGUIN, Robert-Lionel. Les granges du Québec du XVIIe au XIXe siècle. Ottawa, Ministère du Nord canadien et des ressources nationales, 1963. 128p.
  • JUCHEREAU, Françoise de St-Ignace. Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec. Imprimé chez J. Legier, Imprimeur du Roy, vers 1750.
  • Source : Inventaire du patrimoine agricole de la MRC de Charlevoix. Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec (Inventaire réalisée par la Cie. Patri-Arch), 2007.
  • DUPONT, David, Une brève histoire de l’agriculture au Québec, Québec, Éditions Fides, 2009, 222 p.
  • POIRIER, Luc, De l’histoire et de la politique agricole au Québec à l’émergence d’une agriculture soutenable, Montréal, Maîtrise en science de l’environnement, Groupe de recherche en intérêt public (GRIP-UQAM), 16 déc. 2010.
  • LÉGARÉ, Denyse, et PRUD’HOMME, Chantal, Patrimoine et paysage agricoles de l’arrondissement historique de l’Île d’Orléans, Commission des biens culturels du Québec, août 2006.

Par Arthur Plumpton, propriétaire d’une maison ancienne et de bâtiments de ferme situés à l’Île d’Orléans, fondateur du groupe patrimoine GRCAPV de l’Île d’Orléans


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