La situation du patrimoine est toujours préoccupante au Québec malgré des années de sensibilisation par les organismes en patrimoine et la preuve bien établie que la préservation de la qualité architecturale et paysagère d’un milieu contribue à sa qualité de vie et à sa vitalité économique. Une vision éclairée à ce sujet manque cruellement dans beaucoup de municipalités.
Les derniers mois nous ont donné de nombreux exemples de la situation lamentable que nous vivons et qui a amené les organismes en patrimoine à une réflexion et à des moyens de pression répétés, des actions « pompier » qui demandent beaucoup d’énergie et donnent des succès mitigés. L’exemple de la situation vécue à la Ville de Chambly illustre tristement cette situation. Le Conseil municipal a approuvé en avril dernier un projet de règlement autorisant la démolition de la maison Boileau, une icône du patrimoine local, construite au début du dix-neuvième siècle, propriété du notaire patriote René Boileau et située au cœur du quartier patrimonial. La préservation du patrimoine architectural devrait être un réflexe à Chambly où le riche milieu historique attire plus de 400 000 touristes annuellement. Il a fallu que la société d’histoire locale, l’APMAQ, la Fédération Histoire Québec et Action patrimoine alertent les médias et interviennent jusqu’au niveau ministériel pour faire entendre raison aux élus municipaux et sauver cet immeuble remarquable de la démolition.
Plusieurs autres exemples témoignent de situations aberrantes: le village de Scott, en Beauce, propriétaire du manoir Atkinson, un bel immeuble d’un rare style néo-gothique, qui lui a retiré le statut de citation déjà accordé pour permettre sa démolition; la Ville de Magog, propriétaire de la maison Tourigny, qui a modifié le zonage afin d’édifier un immeuble administratif démesuré à l’emplacement de cette maison victorienne en bon état; la Ville de Sainte-Thérèse qui a acheté un quadrilatère situé près du centre-ville dans un but de rénovation urbaine et démoli deux maisons de briques centenaires en bon état avec promesse de reproduire la façade des maisons dans un nouvel immeuble commercial, un non-sens; enfin, la maison Wilfrid-Edge, de type mansarde, à l’Ancienne-Lorette, déjà déclarée d’intérêt patrimonial par la Ville de Québec avant la défusion de l’Ancienne-Lorette, où le maire local s’est attribué la compétence de déclarer qu’elle n’avait pas de valeur patrimoniale afin de la remplacer par un immeuble à appartements. La liste d’exemples semblables à travers le Québec pourrait remplir plusieurs pages.
Lors des consultations qui ont précédé l’adoption de la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel en 2012, les organismes en patrimoine avaient soulevé des craintes au sujet du transfert de responsabilité vers les municipalités, surtout si ce transfert ne s’accompagnait pas de ressources financières et professionnelles. Ces craintes soulevées se sont malheureusement avérées. Les élus municipaux, étant sur place, sont en mesure d’intervenir efficacement pour protéger le patrimoine local mais leur manque de sensibilisation et de formation à l’égard du patrimoine, ajouté à leur trop grande proximité avec les promoteurs immobiliers et la charge fiscale de plus en plus lourde, a produit les dégâts constatés actuellement. Le manque de vision et de transparence dans plusieurs municipalités est évident : des démolitions à la sauvette, des convocations durant la semaine du 25 décembre ou à deux jours d’avis pendant les vacances, etc.
Les villes de moyenne et grande importance peuvent profiter de ressources spécialisées absentes dans les petites municipalités où les comités consultatifs d’urbanisme (CCU) sont, pour la plupart, formés de gens ignorants des notions d’urbanisme et d’architecture; ces CCU ne sont donc d’aucun secours auprès des municipalités sinon pour entériner les projets déjà ficelés par les élus.
Il faut donc créer des ressources en patrimoine à un niveau intermédiaire pour les petites municipalités. Cependant, le point qui nous apparaît le plus important et qui relève du ministère de la Culture – si celui-ci est sérieux dans sa volonté de préserver notre patrimoine bâti – consiste à entreprendre une campagne de sensibilisation dans les médias visant l’ensemble de la population pour changer la perception à l’égard du patrimoine, passer le message que le patrimoine est une richesse, non un fardeau, sans quoi les autres efforts demeureront vains. Le projet en cours d’une nouvelle politique culturelle présente une bonne occasion d’entreprendre ce changement des mentalités et ainsi faire en sorte que notre patrimoine architectural devienne objet de fierté.
Article tiré de La Lucarne, automne 2016 (vol. XXXVI:4).
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