L’APMAQ a eu la chance à l’été 2019, de visiter quelques maisons anciennes de Calixa-Lavallée, puis de circuler sur le rang de la Beauce et constater que cette municipalité est un haut-lieu d’architecture traditionnelle au Québec, notamment par ses nombreuses maisons de pierre. Un des points forts de cette visite fut certainement la propriété de Pierre Moussard qui inclut, outre une maison exceptionnelle, plusieurs bâtiments agricoles d’une grande valeur.
Pierre Moussard, né en France dans la région du Jura a émigré au Québec afin d’éviter la conscription pour la guerre d’Algérie. Il traverse l’Atlantique, en 1957, à l’âge de 18 ans. À son arrivée, il s’installe à Montréal et vit de différents métiers, comme garçon d’hôtel puis courtier en livres.
En 1962, il acquiert au coût de 5000 $ une maison construite en 1834 qui fera l’objet d’un classement en 1973 par le ministère de la Culture et portera le nom de Moussard puis de François-Xavier Paquette dit Lavallée, le premier occupant. Située sur le rang de la Beauce, à Calixa-Lavallée, il s’agit d’une solide et imposante maison de pierre des champs, munie de deux larges cheminées inspirées de l’architecture urbaine, mais toutefois dépourvue des murs pignon coupe-feu. Des trois conduits de cheminées, deux sont raccordés à un foyer au rez-de-chaussée et un troisième à un foyer au sous-sol au fond duquel est intégré un four à pain.
La maison présente un agencement néo-classique en façade avec porte centrale et fenêtres, munies de châssis à petits carreaux réparties symétriquement de part et d’autre. Elle dispose d’un important dégagement au sol favorisant la présence de quelques fenêtres en sous-sol. Cette partie de la maison, divisée en quatre parties par des murs de refend longitudinal et transversal, percés de portes, inclut une cuisine d’été, un élément très rare, de même qu’un caveau à légumes et un cellier. L’étage, qui a conservé une grande intégrité architecturale, comporte une cuisine accessible par la porte arrière qui occupe la partie est du bâtiment. Le reste de l’espace est occupé par un grand salon à l’avant et trois petites pièces à l’arrière. Le grenier, sous une structure de toit complexe à la française présente un grand espace ouvert ; une seule chambre y est aménagée du côté ouest.
Au moment de l’achat, la propriété, outre la maison, inclut une ancienne forge du début du XXe siècle et un long hangar du milieu du XIXe siècle localisé le long du terrain voisin, servant de lieu d’entreposage pour le bois de chauffage et les grains et d’espace pour les voitures et équipements agricoles.
Il achètera en 1973 la ferme de 26 hectares, rattachée originalement à la maison, qui se déploie des deux côtés de la route et inclut deux bâtiments agricoles, une longue grange, datant des années 1825-1850 qui possède une structure de toit à la française, de même qu’une grange-étable munie de toit mansarde, datant de la fin du 19e siècle, toutes deux couvertes d’un parement traditionnel de planches verticales.
L’intérêt de Monsieur Moussard pour le patrimoine québécois avait débuté avant l’acquisition de la maison par l’achat d’une vieille chaise et une horloge Twiss, ce qui marquera pour lui le début d’une longue histoire de collectionneur et d’antiquaire. Suite à son installation dans cette maison, son enthousiasme pour la collection ne fait que grandir et il développe un amour pour l’objet québécois comme peu de gens nés au pays.
Outre le mobilier et objet ancien, sa passion le pousse à déplacer sur son site plusieurs bâtiments anciens, d’abord, avant 1973, une petite maison construite de pièces sur pièces assemblées à queue d’aronde de dimensions de 16’ x 16’, ancien refuge de quêteux, en provenance de Saint- Antoine-sur-Richelieu, la « Maison de l’Homme engagé ».
Au cours des mêmes années, il déplace sur son terrain une petite laiterie dénichée à Verchères. Projet plus important, il démantèle, transporte et reconstruit une bergerie âgée de plus de 150 ans, à structure de pièces sur pièces assemblées à coulisse, récupérée à Saint-Grégoire-de-Nicolet.
Il ne se lasse pas et entreprend en 1983 le déplacement d’une remise à voitures achetée à Grondines, un bâtiment unique, d’une architecture très particulière, d’une rare harmonie, datant du milieu ou de la fin du 19e siècle. Il s’agit d’un petit bâtiment carré de 18’- 3’’ x 18’- 3’’ avec toiture en octaèdre surmontée d’un clocheton décoratif. En 2008, il construit le pont couvert Wilhelmine sur l’étang artificiel et élève tout près un pavillon de type « ma cabane au Canada » avec des matériaux récupérés d’une maison en démolition.
Cette imposante maison et tous les bâtiments qui l’entourent ont pour la plupart exigé une restauration et nécessitent un entretien régulier. M. Moussard a partagé cette tâche avec des artisans locaux, devenus des amis. Mentionnons M. Léonce Chagnon qui a réalisé pour lui des travaux de charpente et maçonnerie durant 52 ans, M. Magella Michaud, qui a réalisé les fenêtres à petits carreaux, M. Normand Jacques et M. Eddy Fleury pour divers travaux dont l’érection de la chapelle et du pont. Comme le dit lui-même M. Moussard, « Les occasions se sont présentées, la vie a été bonne pour moi ».
M. Moussard nourrissait un rêve de longue date, une « douce folie » répondant au seul objectif du merveilleux, celui d’ériger une chapelle dans l’esprit des chapelles de procession qui bordent la rue de certains villages. Il s’est investi dans cette réalisation exceptionnelle en 2010 avec des amis dont M. Luc Émond et il y expose sa collection d’objets religieux et d’art populaire. On ressent, en échangeant avec le personnage que la chapelle Sainte-Cécile est l’oeuvre de sa vie, à laquelle il est très attaché, un objet de beauté issu de son imaginaire et érigé avec la passion des bâtisseurs de cathédrales. L’artisan Florent Lorcat a réalisé la toiture de la chapelle en tôle d’acier posée à la canadienne; la configuration du chevet en cul-de-four lui a donné l’opportunité d’une réalisation exceptionnelle en tôlerie. Laissons ses amis, Jacques et Nicolas Boulerice nous décrire avec poésie « La beauté de la chose ». In Oramentum, Fall/Winter 2012
« Bâtir la chapelle québécoise parfaite. L’apothéose de cet art populaire et sacré. Il cherche les dimensions justes, il imagine les courbes parfaites. Le visage dans le froid et la poudrerie, il en projette l’emplacement. Contre les bourrasques et le monde qui se déchire, il rêve à sa beauté. La beauté intrinsèque de la simplicité. Il faudra que les bras des artisans conduisent les lignes de son clocher dans le ciel du village comme dans le coeur de son concepteur ».
On pourrait penser que ce dernier projet ajouté à l’aménagement exceptionnel du site au niveau paysager et la préservation d’un patrimoine agricole aussi précieux lui vaudrait une reconnaissance bien méritée. Il aura au contraire à supporter de la part de la municipalité des avocasseries qui lui occasionneront des frais importants mais dont il sortira heureusement gagnant. De même, le ministère de la Culture lui fait des reproches reliés à la construction de la chapelle et à l’aire de protection de la maison, malgré la qualité d’insertion architecturale exceptionnelle. Abordant la situation du patrimoine au Québec, M. Moussard affirme que le manque de vision et de sensibilité nous a fait perdre des trésors d’une ressource non renouvelable depuis cinquante ans et que l’avenir n’est pas rassurant.
À ce jour le site compte 12 bâtiments uniques et un dernier projet est celui de l’érection d’une croix de chemin, thématique d’exception chère au cœur du propriétaire.
Article tiré de La Lucarne – Été 2020 (Vol XLI, numéro 3).
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