L’effeuillage de ma pierre angulaire

1 juin 2020

Jean-Robert Grenier

Retrouvez l’article précédent de ce récit dans le numéro printemps 2020 de la Lucarne

Au-dessus de la corniche, un souvenir du passé religieux des grandes familles québécoises.1978 est l’année qui précède les grandes décisions. L’année où nous devons apprendre à effeuiller délicatement couche par couche tous les printemps de la maison. L’année où nous devons apprivoiser le gardien de ces époques oubliées afin de mieux comprendre et de mieux découvrir ce qu’il a à nous révéler. De nombreux mystères sont au menu, car plus de 200 ans d’histoire ont beaucoup à raconter, à préserver et à mettre en valeur…

Un soir pluvieux d’octobre ’77, en arrivant à Calixa-Lavallée, une jeune femme fait du pouce sur la montée Labonté. Sans hésiter, je m’arrête et l’invite à monter dans ma voiture.

Bonsoir, où allez-vous ?
Ah, je ne vais pas très loin.

Mon mari et moi habitons le Second-Ruisseau, à deux milles et demi d’ici.

Je vous y amène avec plaisir, montez, vous risquez de vous enrhumer par une pluie si froide !

Rendus chez elle, elle m’invite à visiter sa vieille maison de pierres en restauration depuis plus d’un an. C’est le coup de foudre !

Qu’elle est belle… votre maison, comme ça sent bon chez vous, qu’elle est cette odeur ?
C’est le parfum du bois de pin, me dit-elle.

La pierre d’évier est un élément difficile à trouver pour une maison de pièces.Emplacement de l’orifice extérieur de la sortie du drain de plomb de la pierre d’évier.Nous échangeons durant une trentaine minutes sur les étapes de leur restauration, où ils en sont rendus, avec quels artisans ils travaillent, etc. Son mari, Pierre, étant absent, je prends congé, car je dois rentrer à la maison mais avant, nous échangeons nos numéros de téléphone et convenons de nous revoir très prochainement tous les quatre. C’est le couple Dominique Dupire et Pierre Farand qui nous a encouragé et conseillé à entreprendre nos recherches de l’authentique.

Le curetage de la maison débute. Quelques jours plus tard, on frappe à la porte, c’est Pierre qui se pointe pour nous enseigner les rudiments de cet art de recherche: nous devons organiser notre travail par étape. La première, c’est le curetage, notez :

  • Décelez les cloisons d’origine en cherchant les indices dissimulés au plafond.Faites de même pour les murs adjacents. Relevez les traces qu’elles y ont laissées et couchez leurs mesures sur un plan à l’échelle.
  • Retirez soigneusement les couches de peinture, de chaque côté des cloisons, à l’aide d’un fer chauffant ou d’un décapant jusqu’à ce que vous atteigniez la couleur d’origine, puis arrêtez. Dans les vieilles maisons, les couleurs d’origine changent fréquemment entre les pièces du rez-de-chaussée; ce sont là des indices importants à relever.
  • Conservez et datez vos observations dans un cahier relié et ne sautez pas trop hâtivement aux conclusions. Les divisions et les murs porteurs ont pu être déplacés de leurs positions originales suite à l’évolution du goût des familles. Ces altérations ont suivi les modes, reflétant les nouveaux besoins des temps modernes.
  • Après les plafonds, partout où vous verrez des feuilles de plaque au plâtre ou tout autre matériau louche, arrachez-les et mettez à jour les murs et les cloisons d’origine. Rendus à l’ossature du carré de la maison, mesurez les embrasures des fenêtres ainsi que celles des portes d’origine. Relevez les anomalies. Avec de la chance, vous y trouverez les traces d’anciennes corniches, l’emplacement d’une pierre d’évier et sa sortie d’évacuation de l’eau vers l’extérieur.
  • Bonne chance ! Puis, après un café, il est reparti aussi rapidement qu’il est venu.

C’est ainsi que nous avons retrouvé l’emplacement d’une pierre d’évier, sa corniche et sa sortie d’eau à l’extérieur.


Article tiré de La Lucarne – Été 2020 (Vol XLI, numéro 3).

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