Entrevue avec Olivier Toupin, un artisan maçon et un conservateur du patrimoine en devenir

1 juin 2020

Par Louis Patenaude

La maison Morison-Howick, près de Châteauguay, est début XIXe. Un rejointoiement complet y est effectué en 2016 par Métiers d’art du bâtiment ARTES inc.

Comment êtes-vous devenu maçon ?

Je suis « né dedans ». Mon père est un artisan-maçon et j’ai grandi dans une maison du XVIIIe siècle à Calixa-Lavallée. L’été de mes 15 ans, j’ai travaillé sur un chantier à différentes tâches liées à la restauration. Par la suite, je me suis inscrit au CÉGEP du Vieux-Montréal en techniques architecturales et j’ai obtenu mon DEP (diplôme en études professionnelles), en briquetage-maçonnerie, de l’École professionnelle de Saint-Hyacinthe. Après avoir travaillé à la pose de briques pendant un certain temps, j’ai entrepris un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM afin de me doter des connaissances nécessaires à une compréhension de l’historique des bâtiments anciens.

Cependant et presque en même temps, un puissant appel du large s’est fait entendre et c’est ainsi qu’interrompant mes études, je suis parti pour l’Australie. La chance m’a souri puisque j’y ai travaillé pendant près d’un an avec un entrepreneur général à la construction d’une maison sur pilotis. La structure était en métal; j’ai appris sur le tas. Je dirais que je n’avais pas la formation « spécifique » étant plutôt maçon que charpentier.

De retour à Montréal, je me suis replongé dans l’histoire de l’art avec l’intention de poursuivre jusqu’à la maîtrise en conservation du patrimoine bâti offerte par la faculté d’Aménagement de l’Université de Montréal. Or, une fois le baccalauréat complété, alors que je me préparais à entreprendre la maîtrise, celle-ci a été abolie. Heureusement on l’a rétablie l’année suivante.

D’où vous vient votre reconnaissance professionnelle ?

Le clocher de la chapelle orthodoxe Saint-Grégoire, construite au début du XXe siècle dans Outremont, est préservé par un rejointoiement de Robert Hardy inc. en 2019.La reconnaissance de ma compétence technique est confirmée par ma carte de briqueteur-maçon émise par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Le Conseil des métiers d’art (CMAQ) exige, de son côté, la production de 10 œuvres. J’en ai sept à mon actif et j’espère donc que cette reconnaissance viendra dans un avenir pas trop lointain.

La maîtrise en conservation du patrimoine bâti, malgré une faible inscription à ce jour procure une compétence de pointe et elle se doit d’être maintenue. Ce programme m’a permis de mieux cerner la notion et le monde du patrimoine. La maîtrise comprend également un volet technique. On y apprend la méthodologie, la recherche documentaire et le diagnostic technique. À mon avis, il s’agit d’une profession méconnue mais pas du tout nouvelle car la maîtrise existe depuis 1987.

Quel genre de travail faites-vous présentement et comment entrevoyez-vous l’avenir ?

Je me vois comme un conservateur de bâtiment ancien avec une activité à deux volets, un volet technique qui relève de mon métier de maçon et un volet intellectuel basé sur ma formation en histoire de l’art et en conservation du patrimoine, donc, en d’autres mots, du chantier et du bureau. Le travail de conservation du patrimoine bâti consiste à procéder, au cours d’une évaluation patrimoniale, à déterminer ce qui doit être conservé ou restauré. Jusqu’à maintenant, j’ai travaillé sur des façades de maisons anciennes en pierres grises de Montréal à Pointe-Saint-Charles et à Saint-Henri. Il s’agissait de numéroter les pierres, de remonter celles qui sont saines et de remplacer celles qui sont inutilisables par une pierre proche de l’originale car la pierre grise de Montréal est maintenant introuvable. J’ai travaillé aussi sur les maisons en pierres des champs de la rive-sud de Montréal.

Présentement, je travaille comme conservateur-stagiaire pour la firme EVOQ architecture où je participe à une étude patrimoniale. Il s’agit de procéder à une étude historique, d’évaluer l’état des matériaux et la qualité des restaurations intervenues au cours des ans.

Qu’en est-il de la demande et de la relève ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question puisque, tel que je l’ai dit, la conservation du patrimoine bâti est un métier qui gagnerait à être connu. Je suis optimiste. Je crois que le métier continuera de se développer et qu’il comptera de plus en plus d’adeptes. Il en va de même de la relève qui grandit avec le développement de la conscience patrimoniale.


Article tiré de La Lucarne – Été 2020 (Vol XLI, numéro 3).

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